Pourquoi le corps académique penche-t-il à gauche ?
On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Se pourrait-il, s'interroge Rik Torfs dans sa chronique du 3 mai 2025 sur le média flamand en ligne Doorbraak, que ce que l'on avance sous le couvert de l'« éthique » ou de la « philosophie » ne soit finalement rien d'autre qu'un soutien à sa propre position dans la société ?
Le quotidien flamand de gauche De Morgen a publié un article de 42 professeurs d'université, tous admis à l'éméritat, des personnes assurément sensées, relève l'ancien recteur de la KUL, lui-même professeur émérite. « Je me suis tout de suite dit qu'il fallait que je lise cet article. Il me rendrait plus intelligent que je ne le suis déjà, ce qui n'est pas facile, mais pas impossible non plus. »
Les 42 professeurs fustigent le gouvernement fédéral, qui, selon eux, se tromperait. Sous le titre « Chacun a droit à une existence digne », l'article affirme : « En semant inutilement la peur du déficit budgétaire, le gouvernement De Wever justifie le démantèlement de la sécurité sociale pour les générations futures. » Ces doctes proposent des alternatives, fruits de décennies de recherche scientifique, ironise Torfs : des impôts plus élevés pour la couche sociale supérieure et la limitation de l'extrême richesse. « Fallait y penser ! », se dira-t-on. Les universités sont là pour ça.
Dans le tourbillon de mots et de concepts - solidarité, pas de divisions, renforcement du tissu social -, le bon et sagace professeur Torfs a repéré un court passage qui l'a interpellé : « Pas de suppression de l'indexation pour les pensions les plus élevées ». Par une sorte de coïncidence diabolique, ne voilà-t-il pas que justement ces professeurs en bénéficient !
Il y a deux façons, observe Torfs, d'analyser leur position. La première est de la considérer comme la voix de la science. Les professeurs sont des experts qui peuvent démontrer, « preuves à l'appui », qu'en limitant leurs pensions, l'État-providence tombera en décrépitude. Dans ce cas, nous devrions nous conformer à leur conclusion. Il y a déjà tellement d'ignorants et de négateurs de la science qui remettent en question les choses les plus évidentes (le fait que la terre n'est pas plate mais ronde, par exemple) qu'il ne faille en rajouter.
Imaginez toutefois que le positionnement des professeurs émérites ne soit pas entièrement guidé par leur expertise et les données scientifiques mais par leur boussole morale et que leur boussole morale indique une direction qui coïncide avec leur intérêt personnel. Les professeurs plaident en faveur de l'indexation complète de leurs pensions élevées, parce qu'ils en bénéficient, et, en même temps, ils veulent l'abolition des sociétés de management, parce qu'ils n'en ont pas.
Le modèle social défendu par les professeurs émérites correspond parfaitement à la position sociale du professeur moyen. Il n'est pas pauvre, ni riche. Il ne peut pas s'offrir une somptueuse villa dans la verdoyante commune d'Heverlee, mais il peut encore s'offrir une confortable maison mitoyenne à Kessel-Lo. Implicitement, il considère son propre statut financier comme une ligne directrice pour le reste de la société.
Le professeur Ingrid Robeyns, professeur d'éthique des institutions à l'Université d'Utrecht, en est un bon exemple. Il y a quelques années, elle a préconisé un capital maximal d'un million d'euros par personne. C'est une mesure tout à fait acceptable pour la plupart des professeurs. Par contre, pour la plupart des entrepreneurs, c'est une limite contraignante, fait remarquer Torfs, et elle ne les protège pas de la faillite.
Le journaliste néerlandais de gauche et aristocrate Sander Schimmelpenninck, s'est prononcé, quant à lui, pour une limitation de la richesse personnelle à maximum 25 millions d'euros. Cela éveille, bien sûr, le soupçon que ledit aristocrate est plus riche que le professeur Ingrid Robeyns et renvoie au début du présent article.
D'une part, explique Torfs, il existe une incongruité de statut chez de nombreux membres du corps académique. Leur salaire et leur situation matérielle ne correspondent pas à leur expertise et à leur apport social. Cette incongruité explique en partie leurs opinions sociales plutôt écolo-gauchistes. D'autre part, leur niveau de connaissances économiques est souvent médiocre, parce que leur rémunération fixe les oblige rarement à effectuer des analyses financières approfondies ou à prendre des décisions risquées. L'article critique des 42 professeurs d'université à la retraite dans De Morgen n'est, en fait, qu'un plaidoyer déguisé pro domo. Sous couvert d'expertise scientifique et d'éthique, le monde universitaire prône un modèle de société qui lui convient.
C'est hypocrite, certes. Est-ce un désastre ? Non, admet Torfs, d'ailleurs, ce n'est pas parce que l'on plaide en faveur de son propre intérêt que ce que l'on dit est dénué de sens. Tout comme, à l'inverse, certains points de vue apparemment altruistes - l'égalité matérielle totale pour tous, par exemple - peuvent être totalement ineptes. (*)
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Très divertissant car sujet jamais abordé avec quiconque même avec moi même !!🙃