Après avoir asséné que les « records » de température, les tempêtes à répétition, les incendies d’une ampleur « sans précédent » constituent autant de preuves indubitables du dérèglement climatique, sans en démontrer le lien de cause à effet ni préciser à quelle époque remontent les précédents, une collaboratrice d'une association environnementale dûment financée par les pouvoirs publics et ayant pignon sur rue s'étonne dans un article publié sur le site de l’association de ce que « certaines personnes » continuent à « nier » l'existence du « dérèglement » et elle se lance dans de subtils distinguos entre les attitudes et les discours négateurs.
Elle commence par reprendre la définition du « climatoscepticisme » dans Le Robert : « mise en doute de l’impact des activités humaines sur le réchauffement climatique, voire du réchauffement climatique lui-même ». Cette définition recouvre plusieurs attitudes de doute : sur le réchauffement, sur ses origines, sur ses effets. L'esprit critique étant perçu comme une valeur plutôt positive dans notre société, le terme « scepticisme » lui paraît toutefois trop lénifiant pour ceux qui mettent en doute un aspect quelconque du « consensus » sur le climat.
Aussi lui paraît-il nécessaire de faire une distinction supplémentaire, entre le vrai scepticisme, qui proviendrait, selon elle, d'un manque d'informations sur la nature desquelles elle n'offre toutefois aucune autre précision, et une attitude qu'elle qualifie de « beaucoup plus problématique », à savoir le « climatonégationnisme », lequel consisterait à nier activement l'existence du dérèglement (notez que l'on ne parle plus de réchauffement) climatique et à répandre de fausses informations dans les médias (lesquels oseraient-ils encore aller à l'encontre du « consensus » ?) et sur les réseaux sociaux. Cette attitude négatrice consisterait à nier « l'évidence ».
Quant à savoir qui sont les « climatonégationnistes », l'autrice de l'article en question se réfère à une étude de chercheurs du CNRS qui ont examiné sur Twitter/X les profils de 10 000 d'entre eux et, l'auriez-vous cru, ils seraient majoritairement issus de la mouvance antivax et de l’extrême droite. Bon sang mais c'est bien sûr, puisque la polémique autour des vaccins a été utilisée, dit-elle, pour discréditer la science, ce qui apporte de l'eau au moulin des climatonégationnistes.
L'article évoque l'importance de la sémantique. Curieusement, alors qu'il mentionne la définition du climatoscepticisme dans Le Robert, il ne le fait pas pour le « climatonégationnisme », pour la simple raison que le mot n'y figure pas. Par contre, « négationnisme » y est repris dans le sens spécifique de « position idéologique consistant à nier l'existence des camps d'extermination nazis ». De même, l'Académie française définit le mot négationnisme comme l'« interprétation déformée de l'histoire, contestant la réalité et les preuves de l'extermination de la population juive d'Europe par les nazis, et niant plus particulièrement l'existence des chambres à gaz dans les camps d’extermination » et elle précise qu'en la circonstance « négationnisme » doit être préféré à « révisionnisme ». User du terme « négationnisme » à propos du climat, c'est faire outrage à la mémoire des victimes de l'holocauste.
Les chercheurs du CNRS se gardent d'ailleurs bien, à juste titre, de parler de climatonégationnisme. Ils parlent quant à eux de « dénialisme », ce qui n'est pas tout à fait la même chose mais encore ! En effet, le déni ne s'apparente pas ici à la simple dénégation mais il a une connotation psychologique dans l'une de ses acceptions, celle de refus quasiment pathologique de reconnaître la réalité - ou « l'évidence », comme le dit la rédactrice de l'association environnementale dont question à propos de son attribution des phénomènes météo cités ci-avant au « dérèglement » du climat.
Cette pratique – l'attribution de phénomènes météorologiques au climat – fort prisée par les médias et dans les milieux politiques, surtout quand elle permet aux uns de racoler et aux autres de se dédouaner de leurs propres négligences, le physicien Steven E. Koonin la dénonce explicitement comme non scientifique dans Unsettled, What Climate Science tells us, what it doesn't, and why it matters (titre français : Climat, la part d'incertitude, aux Editions de l'Artilleur), l'essai dans lequel il débusque les licences prises avec la (vraie) science du climat.
Dans une récente chronique sur Doorbraak, Rik Torfs, l'ancien recteur de la KU Leuven et leader d’opinion flamand avec près de 200 000 abonnés sur X/Twitter, écrit qu'il ne faut pas s'étonner qu'il y ait de plus en plus de « dénialistes de la science » (« wetenschapsontkenners »). La raison en est simple : ce n'est pas de la science ni de ses méthodes que les gens se méfient, mais de tous ceux qui s'en prévalent pour en faire l'instrument d'un combat personnel, politique ou idéologique. Face à la critique, la tentation est alors de se présenter comme la science incarnée : « à travers moi, c'est la science que vous attaquez ! » (Le Docteur Fauci en réponse aux critiques par rapport à sa gestion de la communication et de la stratégie dans la cellule de crise de l'administration Trump sur le coronavirus : « Attacks on me, quite frankly, are attacks on science ».)
Parmi d'autres exemples de choses qui semblent aller de soi dans la presse et les milieux politiques et dont il est permis de se demander pourquoi elles ne font pas l'objet d'un débat, Torfs prend celui des « inégalités qui augmentent ». Cela signifie implicitement, fait-il remarquer, qu'elles devraient diminuer et cela relève d'un choix idéologique, certainement pas d'un choix scientifique. Et, certes, l'égalité matérielle serait plus facile à réaliser dans un scénario de décroissance piloté par les pouvoirs publics que dans un système libéral où davantage de richesses sont créées. Remémorez-vous Churchill : « Le vice inhérent au capitalisme consiste en une répartition inégale des richesses. La vertu inhérente au socialisme consiste en une égale répartition de la misère. »
En vertu de quelle théorie, serait-il non scientifique d'aspirer à une société avec moins de pauvreté plutôt qu'une société avec plus d'égalité matérielle ? Cela ne suscite aucune discussion, pourtant cela le devrait. Les gens seraient-ils obtus au point de ne jamais rien comprendre ? Non, répond Torfs, ils sont apparemment plus habiles que les scientifiques eux-mêmes à faire la part des choses entre ce que la science dit et ce que l'on dit que la science dit, mais qui relève de l'idéologie. (*)
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