« Vous avez beau ne pas vous occuper d'économie, l'économie s'occupe de vous tout de même », a fortiori si on la considère comme une sorte de succédané de la sociologie. Bref, il sera ici question de l’actualité, de vos sous et de vous.
Le cours des actions ont grimpé mercredi à la suite de l'annonce d'une hausse des droits de douane des Etats-Unis sur les produits chinois à 125 % et d'une réduction concomitante à 10 % pour les autres pays, pendant une « pause » de 90 jours. Trump se serait aperçu que les marchés étaient devenus quelque peu « agités ». Les marchés ne sont pas une table de poker. Le statut de superpuissance repose sur la prévisibilité, et non sur le spectacle.
Avant même que Trump ne se ravise hier, en pleine séance boursière, à propos des droits d'entrée dont il avait gratifié la planète entière, le Financial Times avait publié un article d'Edward Luce, son commentateur en chef de la politique et de l'économie américaines, basé à Washington, D.C., intitulé « Trump n'a aucune idée de ce qu'il a déclenché ». Trump est un fantaisiste dont le fantasme le plus profond est d'être invincible, dit-il. Ceux qui persistent envers et contre tout à le voir comme un acteur rationnel engagé dans une partie d'échecs sur le plan économique sont atteints du même syndrome de dérangement que lui. Aucune école de realpolitik, ni de mercantilisme, ne permet d'expliquer ses agissements. Pour prédire l'avenir, conclut-il, étudiez sa psychologie et tant qu'il est au pouvoir, restez « court » sur l'Amérique.
Son collègue Martin Wolf, le commentateur économique en chef du FT, enchérit : « Ce qui est peut-être le plus extraordinaire dans le renversement de près d'un siècle de politique commerciale, c'est que personne, apparemment, n'a dit au président que placer le Lesotho au premier rang en termes de droits à l'importation ridiculiserait les États-Unis. En vérité, le calcul des droits ne résulte pas d'une analyse subtile des barrières tarifaires et non tarifaires dont les États-Unis auraient à souffrir. C'est bien plus simple et stupide. Les droits de douane imposés sont proportionnels au déficit commercial bilatéral divisé par les importations bilatérales. C'est pure folie. Pourtant, c'est devenu le fondement intellectuel de la politique commerciale du pays le plus puissant au monde. »
Wolf va plus loin : « Le débat sur la question de savoir s'il faut prendre Trump au pied de la lettre ou au sérieux est clos. Il est le tyran qu'il a toujours rêvé d'être. Son administration est engagée dans une offensive de grande envergure contre la république américaine et l'ordre mondial qu'elle a créé, ces piliers sur lesquels reposaient la liberté et la prospérité des États-Unis. Il a détruit l'ordre international libéral. Bientôt, je présume que Trump envahira des pays et restaurera l'ère des empires. » Ce vétéran du FT n'est pas connu pour son optimisme démesuré, mais il a raison : ça n'en restera pas là, ne serait-ce qu'en raison de ce que les Etats-Unis ont à refinancer 9.000 milliards de dollars de dette publique d'ici 2026 et, selon toute vraisemblance, un même montant l'an prochain.
A cet égard, un éminent économiste belge, très présent dans les médias et sur les plateaux de télé, a partagé sur son bloc-notes sa conviction que la stratégie de Donald Trump est parfaitement limpide et logique. Il faut voir les choses à l'envers, dit-il, et se demander ce qu'il veut. Ce sont trois choses : réindustrialiser les Etats-Unis, affaiblir le dollar afin de stimuler les exportations, et, surtout, trouver des créanciers pour la dette publique américaine – et, au besoin, leur forcer la main en en faisant la condition de la protection militaire des Etats-Unis. Ceux-ci restant la première puissance économique au monde et le dollar, la monnaie de réserve, cela va « évidemment » marcher, estime-t-il, car cela a « toujours » marché. Bref, l'Europe, maillon faible de l'histoire, est confrontée à un plan visant à renforcer l'hégémonie économique - voire l'hégémonie tout court - des Etats-Unis.
Le plan existe, c'est le User's Guide to Restructuring the Global Trading System, un rapport publié en novembre 2024 par Stephen Miran, l'actuel chef des conseillers économiques du président des Etats-Unis. L'idée centrale est celle d'un dollar structurellement surévalué depuis des décennies. Que ce soit dû à sa qualité de monnaie de compte, d'échange et de réserve de valeur mondiale et que cela constitue aussi un avantage structurel pour les Etats-Unis (afflux de capitaux, capacité d'endettement illimitée, domination des marchés, contrôle des flux, extraterritorialité du droit américain) ne peut échapper à personne.
Ce plan d'essence keynésienne n'est-il toutefois pas en décalage par rapport à la réalité économique et monétaire d'aujourd'hui ? Trump et ses économistes au marteau ne s'exposent-ils pas à un retour de flamme, en particulier si le président des Etats-Unis continue à souffler le chaud et le froid auprès de ceux qui détiennent une part significative de la dette publique américaine ? Que peut faire « l'Europe » ? (A suivre.)
(*) Achetez Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d'idées – L'Europe sous l'emprise de l'idéologie (sur Amazon France avec livraison gratuite en Belgique et, sous condition, en France).