L'ancien président « whatever it takes » de la Banque centrale européenne et président du Conseil des ministres d'Italie et auteur du récent rapport qui porte son nom sur l'avenir de la compétitivité européenne, a signé un billet d'opinion dans le Financial Times des 2-3 novembre 2024. L'UE s'est engagée à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et à investir dans l'atténuation et la prévention du changement climatique ; à investir au moins 2% du PIB par an dans la défense pour tous les Etats membres de l'OTAN ; à booster les dépenses publiques et privées dans l'innovation à 3% du PIB et à mettre à niveau de pointe son infrastructure numérique ; le tout en maintenant son modèle social, c'est à dire les interventions étatiques visant à assurer un certain niveau de sécurité et de bien-être à l'ensemble de la population : elle n'y arrivera pas. Ce n'est pas tout à fait ce qu'il dit, mais c'est tout comme.
La réalisation de ces objectifs cumulés nécessite, selon des estimations prudentes de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne, mentionnées par M. Draghi, d’augmenter le niveau d’investissement d’environ 750 à 800 milliards d'euros par an, c’est à dire de passer de 22% actuellement à 27% du PIB de l'UE. Etant donné que 80% des investissements en Europe sont financés par le secteur privé et 20% par le secteur public, cela revient à dire, calcule-t-il, que les Etats devront dépenser plus de 1.000 milliards d'euros au cours des sept prochaines années (7, chiffre magique, et le secteur privé quatre fois autant, mais ça, il omet de le signaler). Or, les Etats dépensent déjà sans compter l'argent des autres et de l'argent qui n'existe pas. (Nous y reviendrons prochainement.)
Mais, rassure Super Mario, il y a un moyen de faire face : tirer pleinement parti des nouvelles règles budgétaires de l'UE permettrait d'accroître considérablement les investissements publics. (A moins que ce ne soit les dépenses ?) Le tour de passe-passe (en l'espèce un prolongement de la période d'assainissement budgétaire jusqu'à... 7 ans, bien deviné!) dégagerait tout un pour cent de marge budgétaire supplémentaire (700 milliards d'euros) que l'on compléterait avec 400 milliards d'euros prélevés sur les « ressources » existantes de l'UE. Encore faudrait-il que l'UE s'assure de ce que tout cet argent soit utilisé à bon escient afin qu'au bout du compte il y ait valeur actualisée nette positive et viabilité budgétaire et que son usage réponde aux « priorités communes de l'Union », précise-t-il.
Quand on constate la vitesse à laquelle l'UE détruit l'industrie et l'agriculture européennes à coups de mesures hors sol au nom de la neutralité carbone et des autres lubies des idéologues qui oeuvrent à sa tête et en son sein, on est rasséréné. Surtout que M. Draghi déclare que les « biens publics » tels que l'atténuation et la prévention du changement climatique et les interconnexions énergétiques étaient jusqu'à présent « sous-financés ». Est-ce à dire qu'il faut planter toujours plus d'éoliennes et de panneaux solaires et garantir l'approvisionnement en électricité des pays qui le font (l'Allemagne, par exemple) par ceux qui disposent d'un surplus de capacité de production conventionnelle non-intermittente (la France, par exemple) ?
Certes, admet M. Draghi, « la part du lion » devra être financée par le secteur privé, mais la finance privée exigera un programme coordonné. Il ne manquera pas de grands coordonnateurs, soyons-en sûr, d'autant que M. Draghi a une petite idée derrière la tête quant à « réorienter » l'épargne privée en parachevant le marché unique - pour faire en sorte que les fourmis du Nord financent les cigales du Sud ?
L'UE peut avoir marqué sa préférence quant à être un leader climatique, un innovateur numérique et un acteur géopolitique, pour l'instant, reconnaît-il, la préférence de ses membres n'est pas la même. Et pour cause, l'UE n'est ni un leader climatique (dans le sens où ailleurs - les BRICS+, par exemple - ce n'est clairement pas une priorité), ni un innovateur numérique (sauf dans le domaine juridique, mais en tout cas pas sur le plan technologique), ni un acteur géopolitique. M. Draghi n'avait-il pas avancé dans son rapport que l'UE ne pourrait simultanément poursuivre tous ses objectifs à la fois, qu'il lui faudrait choisir, à défaut de quoi elle n'en atteindrait aucun ? Et si l'on regardait par l’autre bout de la lorgnette et reparlait de croissance et de productivité, d’une politique de l’offre ? Les convoyeurs attendent.
En 2023, le PIB de l'UE fut de 16,8 milliards d'euros. Il y a donc erreur dans les chiffres et pourcentages, même si, au fond, il est plus que vraisemblable que les sommes dépensées ne servient à rien d'autre que d'amplifier le périmètre des États et de leurs administrations .