En grande pompe et avec force accolades, Mario Draghi, l'ancien président de la Banque centrale européenne et l'un des plus grands économistes européens (pour emprunter l'expression au communiqué officiel de l'UE), a remis le 9 septembre son rapport sur sa vision personnelle - c’est le communiqué de l'UE qui le précise - du futur de la [non-]compétitivité européenne à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
Le rapport est uniquement disponible en anglais et comporte deux parties, la première de 69 pages, la seconde de 328. L'auteur de cet article mentirait s'il prétendait avoir lu mot à mot l'intégralité du document, mais il peut se targuer d'en avoir lu sans doute plus qu'une grande partie du personnel politique de l'UE et assurément plus que le commun des citoyens européens.
D'emblée, M. Draghi pose une évidence : l'Europe est à la traîne. Depuis le début du siècle, diverses stratégies auraient été imaginées visant à augmenter le taux de croissance économique. Si tant est, il faut bien convenir qu'elles ont échoué. La tendance n'a pas été inversée. Mme von der Leyen n'avait-elle d'ailleurs pas déclaré en mai 2023 dans son discours à la conférence « Beyond Growth » au Parlement européen que « la croissance économique n'était pas une fin en soi » et critiqué la notion même de PIB ? Faut-il dès lors s'étonner de ce que ladite croissance ne soit pas au rendez-vous ? Emettre la question, c'est y répondre.
Pour s'en tenir à des choses qui sont pertinentes et comparables, M. Draghi poursuit en constatant le fossé qui s'est creusé entre l'Union européenne et les Etats-Unis, fossé dont le graphique ci-dessous, publié par Reuters et basé sur des données de l'OCDE, relève la profondeur en termes de PIB. Ne nous leurrons pas : les ménages européens en ont bel et bien payé le prix en perte de niveau de vie. C'est ça que cela signifie. Depuis 2000, indique M. Draghi, le revenu disponible réel par habitant a augmenté presque deux fois plus aux États-Unis que dans l'UE.
Dans un contexte favorable aux échanges multilatéraux, on a pu croire que tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil, et que « nos amis le resteraient ». La covid-19 qui s'est propagée chez nous comme partout ailleurs et la guerre aux confins de l'UE ont sonné l'heure du réveil. Comme l'écrit M. Draghi, « les fondations sur lesquelles nous nous avions construit sont désormais ébranlées. L'ancien paradigme global est en train de disparaître. » Il n'est pas trop tôt pour s'en apercevoir. Comme le dit le proverbe, mieux vaut tard que jamais.
Les entreprises européennes subissent une concurrence internationale effrénée tant sur leur marché intérieur qu'à l'exportation, notamment en raison de l'absence d'une source européenne d'énergie abondante et bon marché et de dépendances extérieures dans d'autres domaines qui sont autant de vulnérabilités (notamment en ce qui concerne d'autres matières premières). Ce n'est pas exactement ainsi que M. Draghi le dit - lui parle du gaz russe, sans doute pour ne pas offusquer l'Allemagne -, mais cette dépendance énergétique et ces vulnérabilités sont des faits avérés.
Un autre problème est démographique. D'ici 2040, la population active de l'UE devrait diminuer de 2 millions de travailleurs... par an ! Même si la productivité continuait à croître au même rythme que depuis 2015, cela permettrait tout juste à l'UE de se maintenir à son niveau actuel en termes de PIB absolu en 2050, mais pas de faire face à ses besoins en investissements. Bref, le fossé avec les Etats-Unis (et d'autres économies plus dynamiques) n'est pas près d'être comblé.
M. Draghi parle d'un défi existentiel. « Si l'Europe ne parvient pas à améliorer sa productivité, nous serons contraints de choisir » - entre croissance économique (c.-à-d. création de richesse et bien-être général), « climat » et modèle social. « Les valeurs fondamentales de l'Europe sont la prospérité, l'équité, la liberté, la paix et la démocratie dans un environnement durable. L'UE existe pour garantir que les Européens puissent bénéficier de ces droits fondamentaux. Si l'Europe n'est plus capable de les offrir à ses citoyens, ou si elle doit les sacrifier l'un contre l'autre, elle aura perdu sa raison d'être. » S'agissant de prospérité, d'équité, de liberté, de paix et de démocratie, relisez cela à tête reposée. Nous reviendrons sur le sujet et ce que M. Draghi propose dans un prochain article.
Très bon article d’un rapport qui n’ose pas dire que l’UE se trompe lourdement.
Samuel Furfari