Guerre commerciale : c'est quoi ce raffut ?
Rappel de quelques principes élémentaires.
Le principe à la base du commerce international est la spécialisation et les avantages comparatifs. Concrètement, chaque pays a des ressources (naturelles, humaines, technologiques, etc.) différentes. En se spécialisant dans la production de biens et services pour lesquels il est le plus efficace (où il a un avantage comparatif), un pays peut produire plus à moindre coût par rapport à ses partenaires. En échangeant leurs productions, tous peuvent bénéficier d’une plus grande variété de biens à des coûts plus faibles que s’ils avaient tout produit eux-mêmes. Chacun y gagne. A moins de vouloir imiter la Corée du Nord, l'autarcie n'est pas une option.
En fait, c'est un paradoxe, le commerce est bénéfique même si vous échangez avec quelqu'un qui est meilleur que vous en tout. Un exemple classique en est fourni par l'Undercover Economist du FT : votre partenaire peut préparer un repas en 30 minutes ou faire la lessive en 40 minutes. Pour vous, cuisiner prend 90 minutes et faire la lessive une heure. Une vision trumpienne de cette situation est que vous êtes perdant : votre partenaire est meilleur en cuisine et en lessive, il fera donc les deux, tandis que vous ne ferez ni l'un ni l'autre. Déficit commercial !
Resterait à expliquer en quoi cette tournure des événements serait à votre désavantage, mais soit. Si, à défaut d'autre chose, vous proposez à votre partenaire de faire trois lessives à condition qu'il/elle prépare trois repas, alors tous deux vous obtenez des vêtements propres et des plats faits maison avec moins d'efforts. C'est le principe de l'avantage comparatif, idée singulière de l'économie, vraie, importante, et pourtant loin d'être évidente pour tous.
Ce paradoxe de l'échange gagnant-gagnant est à la base de l'économie qui est par nature marchande, quel que soit l'office des uns et des autres dans la société. C'est le rôle de la monnaie d'en huiler le mécanisme et l'apanage de l'Etat de taxer les transactions que ce soit à l'intérieur de ses frontières (taxe sur la valeur ajoutée, accises, etc.) ou avec l'étranger. Les droits de douane (que certains pays appliquent aussi à l'exportation, de minerais par exemple) ne sont rien d'autre qu'une taxe, laquelle peut paraître sexy car elle semble ne s'appliquer qu'à l'étranger. Or, si c'est le cas à l'export, où ce ne sont pas les nationaux qui la paient mais le reste du monde, ce n'est pas le cas à l'import, où ce sont les nationaux qui achètent des choses de l'étranger qui la paient.
Le commerce international est souvent le bouc émissaire pour des problèmes qui lui sont étrangers. C'est le cas, par exemple, aux Etats-Unis où la baisse de l'emploi dans le secteur manufacturier n'est pas due exclusivement aux importations de Chine ou d'ailleurs, mais aussi à l'utilisation de robots. En effet, autre paradoxe, si dans le secteur manufacturier des Etats-Unis l'emploi est en baisse, la production, par contre, augmente. Outre que des droits de douane dont la « réciprocité » est calculée de manière fumeuse et qui sont appliqués à des îles peuplées uniquement de pingouins sont un non-sens, non seulement ils constituent une mauvaise idée dans la perspective de l'enrichissement – le surplus de bien-être - national et global, mais ils sont souvent un outil inadapté aux problèmes que l'on cherche à résoudre.
Cependant, les féaux de M. Trump persistent à considérer que sa politique tarifaire et ses multiples volte-faces consistent en l'exécution maîtrisée d'un plan directeur digne de son livre préféré après la Bible, The Art of the Deal, son manuel sur l'art de la négociation. En ce qui concerne la Chine, objet prépondérant de sa rage taxatrice et de ses hyperboles, M. Trump omet une vérité toute simple : ce n'est pas par charité que ses concitoyens achètent des produits chinois, c'est parce qu'ils veulent ce que la Chine fabrique, des smartphones, par exemple. Il a bien dû finalement l'admettre, ainsi que, implicitement, cette autre vérité toute simple, le fait que ce sont ses concitoyens qui paient les droits d’importation. Il en va de même pour les équipements et appareils électriques, les vélos, les poupées, les jouets et tutti quanti, y compris les casquettes « Make America Great Again », dont les citoyens des Etats-Unis raffolent.
Il y a un autre paramètre simple à intégrer : l'économie chinoise représente environ 18 800 milliards de dollars et exporte environ 440 milliards vers les Etats-Unis, soit un peu plus de 2%. Il n'y a pas péril en la demeure. Quoi que M. Trump dise, M. Xi n'a pas à se presser de l'appeler. En outre, la Chine détenait en décembre 2024 environ 759 milliards de dollars en bons du Trésor américain, ce qui représente environ 8,9 % des 8 513 milliards de dollars détenus à cette date par l'ensemble des créanciers étrangers des Etats-Unis. C'est peut-être de ce côté-là que les économistes au marteau de l'ère Trump perpétreront le véritable « coup de Trafalgar » pour l'ordre économique international, sous la forme, par exemple, d'un contrôle des flux monétaires, voire d'une taxation. Le dollar US compterait pour 58% des réserves de change mondiales et 40% des paiements SWIFT. Revoyez dans l'encyclopédie la signification d'« Armageddon ».
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