« L'Europe a compris le message sur le changement », assurent Mmes Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, et von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, dans une tribune libre publiée par le Financial Times du weekend des 1er et 2 février 2025. Il était temps.
« Rester compétitif est fondamental pour l'avenir de l'Europe. Nous avons besoin d'une croissance économique plus rapide et d'une productivité plus élevée pour protéger la qualité de vie des Européens, qu'il s'agisse de leurs emplois, de leurs revenus, de leur sécurité ou de leur bien-être. » Ces dames ont redécouvert l'eau chaude !
« C'est pourquoi l'Europe doit agir », continuent-elles. Paraphrasons les armateurs de Saint-Malo dans leur réponse à Louis XIV qui leur demandait comment il pourrait les aider à concurrencer les Anglais et rétorquons : Mesdames, surtout ne faites rien ! Vous nous avez assez aidés ! « Notre compétitivité est menacée », insistent-elles. « Alors que la révolution mondiale de l'intelligence artificielle est en marche, l'UE pourrait se retrouver sur la touche. » Ben tiens ! « Nos champions traditionnels de l'industrie manufacturière perdent des parts de marché au niveau mondial. Les changements géopolitiques transforment les dépendances en vulnérabilités et font peser sur nos entreprises le poids des prix élevés de l'énergie. » Ça alors ! Qui l'eût cru ? Cet enchérissement de l’énergie ne date-t-il pas d’avant la guerre en Ukraine ?
« L'Europe doit trouver et trouvera sa place dans ce nouveau monde. Les perspectives pour notre continent sont meilleures qu'il n'y paraît. » Heureux de l'apprendre ! Mais encore ? « L'UE dispose d'atouts sur lesquels elle peut s'appuyer - et elle a un plan pour remédier à ses faiblesses. » Aïe ! Un plan ! Un joujou extra qui fait « crac-boum-hue » ? En tomberons-nous à genoux ?
Ces dames avancent que les fondamentaux économiques de l'Europe sont solides. Si c'est le cas, encore que cela ne concorde pas avec ce que l'on dit en Allemagne, qui reste la plus grande économie européenne, ce n'est pas grâce à l'UE mais en dépit d'elle, comme le Pr Samuel Furfari l'expose dans son dernier essai, Energie, mensonges d'état : La destruction organisée de la compétitivité de l'UE. Sans doute cette partie qui se veut rassurante du message des présidentes est-elle destinée à l'Allemagne en vue des élections du 23 février 2025 et signifie-t-elle : « Faites confiance au parti démocrate-chrétien, CDU(-CSU), celui de Mme von der Leyen, quitte à devoir supporter pendant cinq années supplémentaires les socialistes du SPD et les écologistes de Die Grünen », puisque l'Alternative pour l'Allemagne, (l'AfD, Alternative für Deutschland, parti populiste), que les sondages situent à la deuxième place, est mise hors-jeu d'avance.
« Nous disposons d'institutions régies par l'État de droit et d'une banque centrale indépendante qui s'est engagée à assurer la stabilité des prix. L'inflation revient à l'objectif de 2 % fixé par la BCE, ce qui permet de réduire les coûts d'emprunt. Les dettes et les déficits publics sont moins élevés que dans les autres grandes économies. » Les institutions de l'Union européenne, régies par l'Etat de droit ? Une banque centrale indépendante ? Cela fleure l'hyperbole véridique.
En tout cas, cela n'a pas été l'avis de la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui, dans sa décision du 5 mai 2020 à propos du programme d'achat d’actifs du secteur public sur les marchés secondaires lancé par la BCE en 2015, a vivement critiqué le manque de contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur la proportionnalité de l'action de la BCE par rapport aux dangers économiques auxquels la zone euro était confrontée. Pour rappel, M. Draghi, l'auteur du récent rapport éponyme sur la (non-)compétitivité européenne, a été président de la BCE du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2019. Un ange passe et chante 'O sole mio.
Quant à l'inflation, attendons voir, car si dettes et déficits publics sont moins élevés (à démontrer) que dans les autres grandes économies, l'euro ne jouit toutefois pas du privilège exorbitant du dollar monnaie de réserve mondiale, ni de la puissance militaire, ni des perspectives économiques, des Etats-Unis. Pourtant, nous les Européens ne serions pas plus bêtes que les Américains, le nombre de nos diplômés en science, technologie, ingénierie et mathématiques par million d'habitants en atteste, de même que le nombre de brevets délivrés au niveau mondial, et l'épargne des ménages (1,3 milliard d'euros chaque année) pourrait être mobilisée pour financer les projets qui s’en inspirent. Ce n'est pas exactement ainsi que ces dames s'expriment, ni M. Draghi, keynésien « whatever it takes », dans son rapport, mais c'est là l'idée : dépenser l'épargne du citoyen pour financer les lubies et les délires de la Commission et des autres instances européennes.
A preuve, Mmes Lagarde et von der Leyen déclarent que le passage à des sources d'énergie « propres » (à vérifier avec ceux qui extraient les minerais nécessaires), « sûres et peu coûteuses » (on a déjà pu s'en rendre compte!), serait en bonne voie (« d'ici à 2030, plus de 40 % de notre consommation d'énergie proviendra des énergies renouvelables ». Alors que l'électricité représente moins de 25% de la consommation d'énergie finale, c’est fortiche!).
Nous serions, disent-elles, bien placés pour devenir un centre mondial d'innovation en matière de technologies propres (c'est le nouveau leitmotiv, dites « Clean Deal » au lieu de « Green Deal », dont le label verdâtre a été terni après la défaite cinglante des écologistes verts de vert aux dernières élections européennes), « d'autant plus que certains pays prennent une direction différente » (suivez ce regard réprobateur qui porte au-delà de l'Atlantique) - et nous, Commission et Banque centrale savons mieux qu'eux (et vous!) ce qui est bon pour vous et le reste du monde…
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MERCI! Et je confirme: Furfari est à lire absolument.