S'il est un avis commun aux détracteurs les plus irréductibles de l'actuel président des Etats-Unis et à ses partisans les plus fanatiques, c'est qu'il n'est pas idiot. Il a un « plan », méphistophélique pour les uns, divin pour les autres.
L'ancien diplomate et haut représentant de la Flandre auprès de l'Union européenne Axel Buyse s'est exprimé au sujet de la politique étrangère américaine dans l'excellent podcast Wereldblik avec Harry De Paepe sur Doorbraak. Qu’ils soient pro- ou anti-Trump, les observateurs s'accordent, dit-il, sur le fait que Trump agit avec un objectif clair et que son action reflète une transformation profonde (déjà amorcée sous les présidences de ses prédécesseurs Obama et Biden) de la stratégie américaine en politique étrangère, marquée par un retrait délibéré du rôle traditionnel de gendarme du monde en faveur d'une approche nationaliste, transactionnelle et économiquement motivée.
Trump n'est pas une aberration, mais un symptôme de cette mutation, qu'on l'interprète chez lui comme une réhabilitation d'un souverainisme libéral ou une tentative de restauration de l'Etat-nation face aux élites globalistes. « La politique étrangère des États-Unis peut sembler plus vile, voire plus indécente, sous Donald Trump mais la stratégie fondamentale reste inchangée, analyse Axel Buyse. Les Etats-Unis visent à maintenir leur position économique et géopolitique dans un monde où la Chine émerge comme un challenger. »
Il n'y a pas de rupture radicale en matière de politique étrangère entre Trump, Biden et Obama. Sous Obama, les États-Unis se sont désengagés militairement du Moyen-Orient ; sous Biden et des atours « multilatéralistes », le retrait (Afghanistan) et la prudence (Ukraine) sont restés de mise ; sous Trump, le repli a été idéologisé et assumé avec une rhétorique de l'« America First » (critique de l'OTAN, barrières douanières) et un rappel tonitruant de ce que « les Etats n'ont pas d'amis, mais que des intérêts » (une citation que l'on attribue notamment au Général De Gaulle).
J.D. Lucille a illustré ce revirement de longue date dans un article publié par le National Post le 9 mars 2025 et intitulé de manière très explicite : « America steps down as the world's policeman. » Il rappelle les propos de plusieurs analystes influents : le journaliste indo-américain Fareed Zakaria qui évoque dans The Post-American World publié en 2008 le « rise of the rest » ; les professeurs Stephen Walt (Harvard Kennedy School, The Hell of Good Intentions : America's Foreign Policy Elite and the Decline of U.S. Primacy, 2018) et John Mearsheimer (University of Chicago, The Great Delusion : Liberal Dreams and International Realities, 2018), figures de la Realpolitik US, qui plaident depuis longtemps pour un retrait stratégique des États-Unis ; la RAND Corporation, qui indique dans son rapport « Overextending and Unbalancing Russia » (2019) que l'élite des stratèges américains pense en termes de gestion des ressources et d'équilibre régional, et non de domination globale.
La stratégie de Trump se veut anti-mondialiste, souverainiste et favorable aux accords bilatéraux avec contreparties. Elle correspond à une tendance plus globale : la fin de la mondialisation libérale comme seul horizon. Trump n'est pas un accident, mais la confirmation d'un revirement historique : celui d'une Amérique plus égoïste, plus pragmatique, moins messianique. Que l'on y voie un projet génial ou démoniaque, il s'inscrit dans une tendance plus large : l'abandon de l'universalisme en faveur du réalisme, le chemin inverse de celui sur lequel l'Union européenne sous l'emprise de la Commission von der Leyen s'est égarée, persiste et s'enfonce.
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