Lors du déjeuner qui suivit une récente conférence organisée par un club d’affaires bien connu, mon voisin de table, un fonctionnaire wallon, à qui j’avais confié que j’estimais que Bart De Wever était sans doute le meilleur Premier ministre que la Belgique ait eu depuis longtemps, me regarda comme si j’avais affirmé que le diable était un saint. « Mais enfin, Monsieur, il vient d’un parti nationaliste flamand qui veut scinder la Belgique ; il a déclaré qu’il eût préféré que la Flandre fasse partie des Pays-Bas ; son coreligionnaire Theo Francken, ministre de la Défense - atlantiste patenté, ndlr - a refusé de dire « Vive la Belgique ! », etc. » Faudrait-il dorénavant répondre aux lubies du premier « microbouilleur » venu de RTL-TVI ou la RTBF pour être un bon ministre ?
Cela empêche-t-il Bart De Wever d’être un bon Premier ministre ? Le discours qu’il a prononcé le 25 septembre 2025 à la tribune de l’assemblée générale plénière annuelle des Nations unies semble valider mon appréciation personnelle. M’a fait repenser à cette conversation cet extrait d’article d’un collègue sur Substack intitulé « The Words of the World » dans le Geopolitical Dispatch. « The speeches captured not just policy but posture, not just action but performance. And in that performance lies the truth of where the world stands (...) »
Autrement dit : plus que ce qu’un chef d’État ou de gouvernement dit, ce sont comment il le dit, ce qu’il ne dit pas, le rythme, la répétition, les métaphores choisies - tout cela est « parlant » et révèle des priorités stratégiques et des intentions pour l’avenir. Dans ce cadre, le discours du Premier ministre de la Belgique, prononcé de manière convaincante et dans un anglais meilleur que celui de la plupart dont ce n’est pas la langue maternelle, s’écoute comme une partition savamment orchestrée.
Le dialogue mélien comme toile de fond
Il a commencé par mentionner son âge, son souvenir du président Ronald Reagan, « un homme que j’ai admiré et que je continue d’admirer » a-t-il insisté, et sa nostalgie d’une époque à laquelle il était convaincu que le monde occidental était uni, partageait les mêmes valeurs et un respect mutuel. Puis, il a invoqué l’historien de l’Antiquité classique Thucydide et le Dialogue mélien. Pour rappel, dans la quinzième année de la guerre du Péloponnèse, Athènes somma Mélos, une petite île du sud de la mer Egée, de payer un tribut et, en réponse à ses appels à la compassion, lui rétorqua que la justice ne s’applique pas entre puissances inégales et la détruisit, réduisant les femmes et les enfants à l’esclavage et trucidant tous les hommes en âge de porter les armes.
C’était là une métaphore forte de la part du Premier ministre belge pour dénoncer la logique de puissance. Thucydide a bien saisi cette logique brutale en une seule phrase : « Les puissants font ce que leur permet leur puissance, les faibles cèdent à ce qu’ils doivent [subir]. » (Traduction littérale de « οἱ δυνατοὶ πράσσουσιν ὧν ἐξουσίαν ἔχουσιν, οἱ δὲ ἀσθενεῖς ξυγχωροῦσιν ὧν δεῖ. Thucydide, V-89). « Sans doute a-t-il eu raison sur le plan de la nature humaine, a commenté Bart De Wever, mais cela n’est pas le monde dans lequel nous voulons vivre aujourd’hui. La civilisation, c’est vouloir dépasser ses instincts primaires. »
Au droit du plus fort, il a opposé une vision de primauté du droit international, de coopération et de valeurs partagées et déploré l’érosion du respect de la souveraineté et du multilatéralisme. A ses yeux, la géopolitique s’est transformée en une partie d’« égo-politique ». Aussi a-t-il plaidé pour que l’ONU se réforme afin d’en revenir à sa mission première de forum des nations.
Sécurité et prospérité comme piliers
Pour le reste, il a axé son discours autour de deux piliers, la sécurité et la prospérité. Pour ce qui est de la sécurité, il a affirmé que la défense de la paix suppose de la fermeté : « Those who wish for peace must be prepared to defend it. That is why we stand firmly with Ukraine. We must erect a barrier against those who look at us the way the Athenians looked at Melos. » Ce ne peut être plus clair. De fait, il a soutenu l’intégration militaire européenne et il a aussi plaidé pour une coopération mondiale contre le crime organisé transnational (trafic d’armes, traite humaine, terrorisme).
En ce qui concerne la prospérité, il a mis en garde contre le protectionnisme, dans lequel il voit une menace pour le progrès, et a défendu le libre-échange comme moteur historique du développement, de la santé et de la paix. Il a appelé à abaisser les barrières commerciales, à stimuler l’innovation et à faire en sorte que la prospérité soit « globally shared ». Ce rappel du lien entre prospérité, paix et confiance mutuelle est judicieux par les temps qui courent, autant que l’allusion à Ronald Reagan. Ce pragmatisme sans fard est bien plus fondamental pour l’avenir, que la « décarbonation » si chère, dans tous les sens du terme, mais en particulier aux idéologues du Berlaymont.
Bart De Wever a fait dans l’arène onusienne un discours résolument libéral sur le plan économique et multilatéraliste sur le plan international, couplé au réalisme sur le plan sécuritaire. Ce faisant, il a réaffirmé le rôle d’un pays comme la Belgique ouvert aux échanges et au partenariat international. Il a refusé de se résigner à la logique de Thucydide et a lancé un appel pour que l’humanité surmonte la médiocrité qui l’empoisonne actuellement et coopère en vue d’un avenir de prospérité globale.
En résumé, le Premier ministre a livré, d’un ton assuré, un message de fermeté face aux menaces (militaires, criminelles) mais aussi d’ouverture. Il défend un monde, régi par le droit international, de commerce et de coopération, où la prospérité sous-tend la paix et dans lequel une ONU réformée reste le pivot du dialogue global. Même si vous n’êtes pas de son parti - ce n’est pas mon cas non plus -, n’est-il pas aussi votre Premier ministre ?
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Je réagis à votre texte
De Wever a clairement dit ceci:
"Those who wish for peace must be prepared to defend it. That is why we stand firmly with Ukraine."
D'accord... mais avec la dernière phrase il place le peuple belge (That is why "we" stand...) dans une position aveuglément aggressive contre la victime qui a commencé à se défendre le 24 février 2022: la Russie.
Nous sommes donc dans le camp qui a déjà perdu!!
Mais quel choix avait-il ?... aucun!!
Il est obligé de dire cela, hélas.
Nos pays EU sont profondément coincés dans la politique inutilement guerrière de l'EU... de la présidente von der Leyen, stupidement soutenue par une majorité de "pseudo-députés" grassement payés pour bénir ses injonctions et qui va "couler" l'Europe... ça commence déjà très visiblement! Heureusement que certains commencent à s'y opposer.
J'apprécie aussi notre premier ministre Bart De Wever.
Car enfin... le résultat de l'élection est un peu logique, il était temps!
Mais je déplore les dépenses militaires qui ne vont servir à rien, alors que le pays a besoin de meilleures répartitions des impôts de ses citoyens et surtout ne pas se sacrifier par des "dons" inutiles aux corrompus de l'Ukraine.
Cordialement,
Francis Geerinckx