C'est Guillaume Erner qui a révélé l'affaire dans son « Humeur du matin » du jeudi 10 octobre sur la station publique Radio France (propriété de l’Etat français). Il en parle comme d'« une histoire minuscule, mais qui a des significations majuscules ».
Melisa Teo, une photographe singapourienne, a organisé une exposition de ses oeuvres sur le thème « Les Arbres de Paris » (qui prendra fin ce 19 octobre 2024) à l'Université de la Sorbonne où elle poursuit une maîtrise en littérature française. L'écrivain français Sylvain Tesson en avait préfacé le « book » en ces termes : « Les photos des arbres de Melisa révèlent ce que le regard ne peut soupçonner. Les arbres irradient. Un rayonnement les auréole. Une onde les enveloppe. Parfois on dirait un tulle diaphane, parfois un voile pulsatile : "un vortex d’énergie" préfère-t-elle avancer. » L'artiste se propose de la reprendre dans l'exposition. (L’oeuvre de Melisa Teo reproduite dans cet article l’est avec la permission expresse de l’artiste. Qu’elle en soit mille fois remerciée. Parc des Buttes Chaumont, 2016. © Melisa Teo)
Il faudrait être de très mauvaise foi pour voir quoi que ce soit de blâmable dans la préface de Sylvain Tesson. Pourtant, aucune trace de lui sur le campus Pierre-et-Marie-Curie (autrefois dénommé « de Jussieu »). Melisa Teo s'en étonne auprès de la direction de l'université. Voulez-vous que l'on choisisse une autre phrase ? Ah ben non, pour sûr, eût écrit Guy de Maupassant, la direction explique que « Sylvain Tesson est une personne “controversée” et qu'à ce titre, il ne peut pas être cité ».
Plusieurs options se présentent à nous, commente Guillaume Erner dans son billet radiophonique, soit Sylvain Tesson a été condamné pour incitation à la haine ou au terrorisme, ou il a commis un faux en écriture, ou il est à ranger parmi les écrivains français sujets à caution comme, cite-t-il, François Villon, Jean Genet, Jean Giono, Maurice Sachs, Céline. Vérification faite, à l'exception de Jean Giono avec le beau mais inoffensif Le chant du monde, aucun autre ne figure sur la liste de lectures idéales que Sylvain Tesson a composée en vue de son séjour de six mois sur les bords du lac Baïkal (Dans les forêts de Sibérie).
Cette liste de quelques dizaines d'ouvrages comprend des policiers, des ouvrages philosophiques (le Traité du désespoir de Kierkegaard, les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, Le Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer, des ouvrages de Nietzsche, l'anthologie de la Pléiade sur Les Stoïciens), des oeuvres de Camus, Shakespeare, Jünger, Kundera, Goethe et des romans (notamment Les Aventuriers de José Giovanni), rien que de saines lectures ! Après relecture de son récit Dans les forêts de Sibérie et d'autres (L'Axe du loup, Sur les chemins noirs, La panthère des neiges), de ses nouvelles (L'éternel retour, Une vie à coucher dehors), de son bel Eté avec Homère, de son Petit traité sur l'immensité du monde, de ses aphorismes, on ne voit toujours pas où est « le mal ».
Evelyne Pieillier l'a exposé en août de l'an dernier dans un article du Monde diplomatique intitulé « La réaction, c'était mieux avant » dans lequel elle évoque Michel Houellebecq, Sylvain Tesson « et leurs devanciers » (Nimier, Cioran, Blondin, « sans oublier » Céline) comme « portant le deuil de la grandeur des rêves d’autrefois avec ferveur. Et osant s’opposer au consensus des dominants. » « [Leurs] thèmes, poursuit-elle, ont une actualité brûlante : dégoût de l’époque, nostalgie des balises d’antan et colère devant un présent destructeur, malaise profond devant un futur qui semble une impasse, l’impression que tout est fichu, la conviction qu’on est impuissants. Ce qui s’énonce ici, c’est moins un manifeste que les repères d’un imaginaire : l’imaginaire réactionnaire [...]. » Tesson serait donc une « icône réac » et même sa fascination pour la montagne serait « politique ».
Ne nous voilons pas les yeux, ce que l'on reproche à Sylvain Tesson, en a convenu Guillaume Erner sur Radio France, c'est d'être « de droite ». C'est encore tout à fait légal selon le Code électoral, précise-t-il, et, si Tesson est innocent de tout autre crime, il est inqualifiable qu'une université censée être le temple de la pensée libre se soit rendue coupable de pareille censure. « On se croirait revenu au bon temps de la Pravda. » Et de citer René Char, poète de gauche et résistant : « Ce qui vient au monde sans troubler ne mérite ni égards ni patience. »
La France se sclérose chaque jour un peu plus...