Il y a quelques semaines, un samedi, Rik Torfs, l’ancien recteur de la KU Leuven et professeur de droit canon, avait été invité, a-t-il raconté dans sa chronique sur le média flamand Doorbraak, à prendre la parole dans une ville dont il garde de bons souvenirs et que manifestement il apprécie, Utrecht. Il y a enseigné le droit canon pendant l’année académique 1987-1988 avec notamment pour élève un certain Hans van den Hende, l’actuel évêque de Rotterdam.
Plus tard, il était retourné à Utrecht chaque dernier vendredi du mois afin de participer aux réunions de la Commission des droits de l’homme liée au Mouvement catholique progressiste du 8 mai. Ces réunions, évoque-t-il, avaient lieu dans la délicieuse et tranquille Brigittenstraat, située entre le parc Lepelenburg et le Nieuwegracht.
Après chaque réunion, il achetait pour son père un paquet de boterspritsjes à la boulangerie Theo Blom dans la Zadelstraat. « Si seulement je pouvais encore le faire aujourd’hui », se dit-il, se tenant ce samedi-là devant la vitrine du magasin, réconforté de constater que l’emballage classique n’avait pas changé. La ville d’Utrecht, elle, a changé, rapporte-t-il. Elle est magnifique !
Les maisons sont en excellent état. Il y a encore plus de canaux et plans d’eau qu’avant, des platanes centenaires, des cafés et restaurants attrayants. Les rues sont propres, sans graffitis ou presque. Les maisons sont devenues chères, mais, ajoute-t-il, si vous voulez maintenir les prix de l’immobilier à un niveau bas, l’insécurité et la déprédation sont des stratégies efficaces - Bruxelles en a démontré le succès.
Au cours de la réception qui suivit sa conférence, Bruxelles ne manqua pas de faire l’objet des conversations. « Est-ce que ça va s’arranger là-bas ? », lui demanda-t-on. Au ton dont la question lui fut posée, Torfs comprit que ce n’en était pas une. Un fonctionnaire néerlandais intervint : « J’y vis depuis douze ans. Bruxelles a certainement de beaux endroits. » C’était en quelque sorte dire, d’une manière plus diplomatique, la même chose.
Autrefois, confie Torfs, j’aurais défendu Bruxelles avec les clichés habituels : « Bruxelles est, après Dubaï, la ville la plus cosmopolite du monde, avec le plus grand nombre de nationalités, environ 190. Le renouveau culturel est impressionnant. Un melting-pot de talents, on n’en croit pas ses yeux. Du suspense et des sensations fortes partout. Bruxelles est moins ennuyeuse que les villes suisses où, qui plus est, on risque peu de se faire descendre sur la terrasse d’un café. A Bâle ou à Zurich, on meurt tout bêtement dans son lit. »
La particratie, gangrène de la prospérité générale
L’article de Torfs ne prétend pas à l’analyse scientifique. Il traduit cependant un malaise bien réel, celui d’une ville et d’un pays qui ont longtemps eu une réputation de prospérité, de raffinement et de créativité, mais qui sont désormais en perte de vitesse sur plusieurs fronts – économie, gouvernance, urbanisme. En cause, sans aucun doute, les multiples niveaux de pouvoir (communal, provincial, régional, communautaire et fédéral) et le clientélisme (la pléthore de bons à pas grand-chose qui vivent du système, dont les beaucoup trop nombreux cabinettards qui végètent auprès des beaucoup trop nombreux ministres, faisant nombre à défaut d’autre chose, quand les cabinettards ne travaillent pas en fait directement pour les partis, autre perversion du système).
Est-il nécessaire de signaler que la Constitution belge ne mentionne nulle part des pouvoirs dévolus aux partis et que ces derniers n’ont aucune existence juridique puisqu’ils n’ont pas la personnalité juridique ? Et pourtant, ce sont eux qui décident de qui siège ou pas au Parlement et qui décident de quels partis forment le gouvernement et, en grande partie, de la politique qu’il suit.
Ce sont des aspects que le journaliste politique de la télévision publique flamande Ivan De Vadder a exposés dans son livre Wanhoop in de Wetstraat, publié en 2022, sa critique de la particratie belge, facteur majeur du dysfonctionnement de la « démocratie » en Belgique et du fossé entre les citoyens et le monde politique (le « kloof met de burger », objet des Burgermanifesten de « Den Joenk » Verhofstadt dans sa période encore éclairée des années 1980 et 1990).
C’était aussi la conclusion de l’ancien parlementaire N-VA et constitutionnaliste de l’Université de Namur Hendrik Vuye et de sa collègue Veerle Wouters dans leur livre Schone Schijn. Particratie wurgt Democratie publié chez Doorbraak en 2019. « Désormais, écrivirent-ils, l’électeur détermine encore uniquement combien de sièges sont attribués au parti ; quant à savoir qui siégera, c’est le parti qui en décide. » Un champion toutes catégories fut Jean-Marie Dedecker qui parlementaire au niveau fédéral se fit aussi élire en 2009 au Parlement flamand et au Parlement européen, s’y faisant remplacer par deux personnes qui n’auraient pas été élues par leurs propres moyens.
Une Belgique obèse et protéiforme
A l’heure où plus personne n’ignore encore ce que les cadors des partis, à commencer par ceux de la gauche donneuse de leçons, accumulent comme revenus et avantages personnels et où il est une fois encore question d’assainir les finances publiques en levant de nouveaux impôts sur les travailleurs et les épargnants, taillables et corvéables à merci, les partis nagent dans l’argent public à telle enseigne que le politologue et professeur de la KULeuven Bart Maddens en a parlé comme d’établissements financiers autonomes qui au fil du temps n’auront même plus besoin d’électeurs pour subsister.
La politique est devenue une carrière sans risque, a souligné Ivan De Vadder. « Quiconque se trouve à une place éligible sur une liste électorale est assuré de décrocher un emploi doté d’un revenu très confortable, sans avoir à investir beaucoup dans ledit emploi. Il suffit donc simplement d’obtenir cette place. Dès lors, votre avenir est assuré. » Et, partant, la médiocrité politique est directement proportionnelle au nombre des cabinettards, stipendiés et autres feignants qui hantent les corridors du pouvoir. Ne vous étonnez pas que cette Belgique obèse et protéiforme soit en déclin et sa capitale, en décrépitude.
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J' ava!s écrit un long message argumenté appuyant Thierry. Malheureusement au premier changement d' écran, il a disparu et je ne le retrouve pas. Ne pourrions-nous pas répondre en direct sans ce zig zag de complications. Il n( y a pas wque des Geeks qui lisent ces messages... Tant pis, j' abandonne.....
GRAND MERCI pour ce texte vrai, simple et utile!!