Mr Trump, votre taco, à la feta ?
De trois forces dont même le président des Etats-Unis doit tenir compte.
L'ancien ministre fédéral des Finances et désormais euro-parlementaire belge Johan Van Overtveldt (N-VA – ECR, le groupe des Conservateurs et réformistes européens) a publié le 20 juin une tribune sur le média flamand en ligne Doorbraak dans laquelle il constate que Trump a beau se comporter comme si rien ne pouvait l'arrêter, au moins par trois fois au cours de ce premier semestre de son second mandat, il est apparu qu'il existe des forces dont il est bien obligé de tenir compte. Ces trois forces - le marché obligataire, les avertissements du monde des affaires américain et le jeu vigoureux de la Chine autour des métaux rares lors des négociations commerciales - ont contraint le président des Etats-Unis à modifier son programme politique de manière considérable.
Les États-Unis restent la plus grande et la plus innovante des économies mondiales (ce docteur en sciences économiques, titulaire d'un MBA, l'avait déjà écrit avec conviction dans A Giant Reborn, Why the US Will Dominate the 21st Century publié en 2015 chez Agate Publishing aux Etats-Unis), ainsi que la nation la plus puissante sur le plan militaire. Il n'empêche qu'aucun des prédécesseurs de l'actuel président n'a probablement causé autant de chaos et de troubles dans le monde et dans son propre pays que celui-ci, en particulier au cours des six premiers mois de son deuxième mandat à la Maison Blanche. Un langage agressif, des revirements constants et un manque général de réflexion – des traits de caractère qui ne sont pas vraiment adaptés à cette haute fonction – ont trop souvent caractérisé les paroles et les actes de l'administration Trump pendant ce second mandat.
Un journaliste du Financial Times, Robert Armstrong, a introduit le terme TACO (« Trump Always Chickens Out », Trump se défile toujours) pour marquer ces revirements constants du 47e président. Dans un même esprit caustique, Van Overtveldt propose l'acronyme FETA (« Forces Even Trump Acknowledges », les forces que même Trump reconnaît). « Le taco mexicain et la feta grecque sont de délicieux ingrédients pour un repas estival. Reste à voir s'ils auront bon goût dans la cuisine à la sauce Trump », écrit-il dans sa tribune sur Doorbraak.
La première force, et finalement la plus puissante des trois, est probablement le marché obligataire. Les politiciens et les gouvernements ignorent à leurs dépens le propos lapidaire d'un des principaux conseillers du Président Clinton, James « It's the economy, stupid » Carville, qui avait confié que s'il devait un jour renaître, plutôt que comme président ou pape, il préférait que ce fût comme « marché obligataire », car cela lui permettrait « d'intimider tout le monde ».
Après que Trump eut lancé sa guerre commerciale le 2 avril, proclamé « jour de la libération », les marchés financiers réagirent vivement : les obligations d'État américaines, les actions et le dollar avaient été vendus en masse, provoquant la crainte d'une grave crise financière, y compris au niveau international. En effet, les étrangers détiennent 19 000 milliards de dollars d'actions américaines, 7 000 milliards de dollars d'obligations d'État et 5 000 milliards de dollars d'obligations d'entreprises. Une vente massive d'actifs américains est non seulement un signe évident de méfiance des marchés à l'égard de Trump mais aussi un facteur de nature à les déstabiliser.
La chute brutale des cours des obligations (le cours d'une obligation baisse lorsque les taux d'intérêt montent) a choqué Trump et son ministre des Finances Scott Bessent. La menace que les États-Unis se retrouvent confrontés à de sérieux problèmes de financement – surtout compte tenu des besoins financiers considérables de l'administration Trump – constituait un « no-no ». Malgré sa réthorique bravache, Trump a dû caner, sous peine d'être confronté à un « Liz Truss moment », du nom de cette éphémère Première ministre britannique dont la politique économique entraîna l'instabilité sur les marchés et un sentiment général de gestion désastreuse.
C'est aussi un avertissement pour les politiciens d'ailleurs, y compris dans l'Union européenne, qui critiquent Trump mais ne s'attaquent pas suffisamment à la problématique de l'endettement et à la lenteur de la croissance économique. Tôt ou tard, il leur faudra faire face, avertit Van Overtveldt. Les marchés n'ont pas de nationalité, ils sanctionnent les faiblesses budgétaires et les incohérences économiques partout, et pas seulement aux Etats-Unis.
Le poids du monde des affaires n'est pas non plus à négliger. Un banquier de haut rang à Wall Street a susurré au Financial Times sous le couvert de l'anonymat : « Trump a toujours été disruptif, mais nous l'avons tous sous-estimé – nous commençons seulement à nous réveiller. » De fait, des chefs d'entreprise tels que Jamie Dimon (JP Morgan), Tim Cook (Apple) et Harold Hamm (milliardaire du pétrole et du gaz) sont carrément montés au créneau. D'autres, comme les dirigeants de l'industrie automobile, de Walmart et de Home Depot, s'y sont apparemment pris de manière plus discrète par le biais de discussions avec Trump en personne ou avec son ministre Bessent, considéré comme une voix raisonnable au sein de l'équipe Trump.
Enfin, il y a le rapport de force géostratégique avec la Chine dont l'asymétrie a été fort mal anticipée par l'administration Trump : les terres rares constituent un levier dont la Chine se sert habilement et les Etats-Unis, tout dominants qu'ils puissent paraître, notamment sur le plan militaire, présentent de réelles vulnérabilités économiques dans certains secteurs stratégiques (l'automobile, la défense, la haute technologie) tandis que les exportations de la Chine vers les Etats-Unis ne comptent jamais que pour 4% du PIB chinois. Ce n'est pas peu, mais c'est gérable sur le plan politique, a fortiori pour une économie dynamique et une dictature.
Alors, Mr Trump, votre taco, vous le prendrez avec de la feta ?
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