Il est franc comme l'or, disait Alphonse Daudet de l'abbé Martin, curé de Cucugnan, dans les Lettres de mon moulin (1866). François Mauriac utilise la même expression, « c'est une nature très droite, franche comme l'or » dans Thérèse Desqueyroux (1927), après que Keynes en eut parlé comme de la « relique barbare » en 1925. Que l'or soit une relique en témoigne que l'on s'y intéresse depuis des millénaires, mais « barbare » ?
Le chairman et CEO de Berkshire Hathaway dont il est le principal actionnaire, Warren Buffett (94 ans depuis le 30 août avec une fortune personnelle estimée à près de 134 milliards de dollars faisant de lui l'une des personnes les plus riches du monde) est connu pour son aversion pour l'or. Il s'en est expliqué dans sa lettre à ses actionnaires de 2011 : « L'or a deux défauts majeurs : il n'est ni très utile, ni procréateur. Il est vrai que l'or a une certaine utilité industrielle et décorative, mais la demande à ces fins est à la fois limitée et incapable d'absorber une nouvelle production. En attendant, si vous possédez une once d'or pour l'éternité, vous n'en posséderez toujours qu'une à la fin. » Son argument principal : l'or ne produit rien.
Compte tenu de l'aversion maintes fois proclamée de Buffett pour l'or, les observateurs des marchés financiers avaient été fort étonnés de ce que Berkshire Hathaway eut investi au deuxième trimestre 2020 quelque 560 millions de dollars US dans Barrick Gold pour environ 21 millions d'actions de la société minière aurifère, étonnés au point de se demander si c'était bien lui qui avait pris la décision d'investir et non l'un de ses subordonnés. En définitive, cette position s'est avérée de courte durée. Deux trimestres plus tard, Berkshire l'avait revendue et ne l'avait détenue que le temps d'accumuler le bénéfice de la forte hausse de l'or à la suite des incertitudes économiques provoquées par la crise du COVID-19.
En vérité, les amateurs d'or trouvent toujours de bonnes raisons pour en détenir, écrit Katie Martin dans le Financial Times du week-end. 2024 leur a été particulièrement bénéfique. Le prix de l'or a augmenté de plus d'un quart depuis le début de l’année et se situe à un peu plus de 2 600 dollars l'once. L'or joue habituellement le rôle de filet de sécurité contre les retours de conjoncture, or rien de vraiment bien fâcheux ne s'est (encore) produit sur les marchés des actions et obligations et l'inflation (une autre raison avancée pour en détenir) a baissé.
Un autre argument en faveur de l'or est qu'il tient le rôle de refuge lorsque la situation géopolitique se dégrade. Sans doute est-ce le cas, mais n'est-il pas étrange que de nouveaux sommets n'aient pas été gravis après la dernière intensification de la violence au Moyen Orient ? D'autres inconditionnels avancent qu'il fait office de couverture contre la dépréciation, voire la disparition jugée imminente, des monnaies fiduciaires et de protection contre une obscure cabale de banquiers centraux et de gouvernements dominateurs. Mais, rétorque Katie Martin, cela vaut-il la peine d'y prêter attention ?
Il y a toutefois des tendances lourdes. La monnaie a trois fonctions : payer, compter et stocker. Certains pays désireux de réfréner la capacité des États-Unis à disposer à leur guise des avoirs en dollars et de mettre leurs richesses à l'abri continueront à acheter de l'or, d'autant plus que ce dernier pourrait servir d'étalon, à défaut d'autre chose, à la création d'une nouvelle monnaie transactionnelle avec leurs partenaires. Songeons aux BRICS+, le « + » prenant toute sa signification quand on tient compte de leur poids sur le marché capital de l'énergie (de l’extraction à la consommation).
Que l'un des deux grands acheteurs (la Chine) ait eu d'autres chats à fouetter et se soit apparemment abstenu ces derniers mois d'acheter de l'or explique peut-être que le cours se soit stabilisé. Certains prédisent cependant qu'il devrait atteindre les 2 800 dollars US d'ici la fin de l'année et 3 000 dollars d'ici la fin de l'année prochaine. L'un des facteurs en serait que l'or gagne en popularité auprès « des personnes d'obédience libertaire ou de droite, un groupe démographique en pleine expansion ». « Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes? », eût dit Jean (3:12), ce que d'aucuns paraphrasent comme suit : « Si tu ne crois pas celle-là, je t'en raconterai une autre ».