« Les politiciens doivent cesser d'interdire », professe dans une tribune libre sur Doorbraak Maurits Vande Reyde qui fait apparemment mieux entendre ses accents libertariens à présent qu'il siège comme député flamand indépendant après qu'il eut quitté l'« Open vld », le parti libéral flamand, lequel reste en quête d'une nouvelle dénomination et d'un avenir « bleu et libéral » et l'a entretemps dans la lunette plutôt que dans la lorgnette.
Vande Reyde s'explique : « L'interdiction est la forme de pouvoir la plus facile et la plus myope ». Il s'interroge : « Pourquoi tant de politiciens et d'experts ont-ils aujourd'hui recours à l'interdiction comme premier et unique remède ? Un gouvernement qui interdit à tour de bras aboutit finalement à ne plus que s'autoriser lui-même. » Sa tribune s'inscrit clairement dans la grande tradition libérale critique de l'Etat-providence et soutient que l'inflation des interdictions gouvernementales nuit à la liberté individuelle et à l’efficacité démocratique.
Il dresse un petit florilège des domaines actuellement en ligne de mire des interdictions : les médias sociaux, le développement de l'intelligence artificielle, la rentabilité des soins de santé, le vapotage, les suppléments de fitness, les opinions, et même boire un godet dans un camp de mouvement de jeunesse. Le spécialiste de la psychologie clinique et des sciences morales François Levrau, un professeur assistant au département de sociologie de l'Université d'Anvers qui écrit des billets d'opinion dans la presse, tient le pompon. Selon lui, le gouvernement devrait même fixer des limites au « bonheur des gens ». Voilà qui promet, ironise Vande Reyde, une société radieuse.
Le réflexe pavlovien de l’interdiction
A ce point-là, ajoute-t-il, la liste deviendrait tellement longue qu'il serait plus facile d'énumérer ce qui est encore permis. Pourtant, le fétichisme de l'interdiction n'est que très rarement la meilleure réponse aux défis sociétaux, même si pour chaque interdiction il y a forcément un expert qui vient la justifier. C'est ainsi que les séances de questions parlementaires prennent de la consistance. En fait, dit-il, la plupart des interdictions gouvernementales sont pratiquement irréalisables. Il cite à titre d'exemple les restrictions visant les médias sociaux qu'imaginent certains politiciens. Ils savent à l'avance qu'elles ne pourront pas être mises en place. C'est donc une solution de facilité, selon lui : ils veulent signaler un phénomène social, sans que la responsabilité d'y remédier ne leur incombe.
Il relève que les motifs de la plupart des interdictions ne sont pas communiqués honnêtement. Il y a toujours une noble raison à laquelle personne ne peut s'opposer. L'interdiction de fumer sur les terrasses en est un bon exemple. Selon le ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit), dit-il, il s'agit d'une mesure sanitaire. Or, le Pr Filip Lardon, un cancérologue professeur à l'Université d'Anvers, a exposé dans Terzake : « Cette mesure n'a aucun effet sur la santé, mais elle va dans le sens de la « dénormalisation » du tabagisme. C'est de cela qu'il s'agit. » L'interdiction des bénéfices dans le secteur des soins de santé est un exemple encore plus flagrant, selon Vande Reyde. Officiellement, l'idée est que « c'est ainsi que l'on résiste aux augmentations de prix ». C'est un non-sens absolu. La vraie raison est de décourager les formes innovantes d'entrepreneuriat social.
L'utilisation d'arguments fallacieux est extrêmement contre-productive à long terme, fait-il observer. Nous devrions le savoir depuis la crise du covid-19. Heureusement, les gens ne sont pas naïfs. Ils obéissent aux lois non pas parce que le gouvernement les a édictées, mais parce qu'elles sont justes. Les interdictions qui ne peuvent être explicitées sapent ce principe. A chaque motif abscons, la confiance dans le gouvernement se trouve ébranlée.
Une exigence démocratique
Enfin, les prohibitionnistes passent sous silence une chose fondamentale : une société est la somme des comportements individuels et non l'inverse. Les habitudes humaines et les conventions sociales sont souvent plus efficaces pour réguler les comportements que des lois sévères. C'est presque impensable dans la Flandre sur-réglementée, dit-il, mais il y a dans le monde entier d'innombrables sociétés qui s'organisent avec succès sur la base d'accords entre les citoyens, sans interférence ni supervision d'un Etat nounou mêle-tout. L'interdiction arbitraire du vice ne rend personne vertueux. Un gouvernement qui refuse des choses sans raison probante ne fait qu'imposer son interprétation de la liberté. Il est peut-être temps, pour une fois, de l'interdire.
La tribune de Maurits Vande Reyde fait écho, consciemment ou non, au fameux slogan de Mai 68 « Il est interdit d’interdire ». C'est d'autant plus intéressant que si sa vision du monde et celle de la révolte estudiantine d'alors reposent sur une critique du pouvoir centralisé et de l'autorité verticale, elles proviennent de finalités idéologiques radicalement différentes : libérer les individus de toutes formes de domination « bourgeoise » (famille, école, armée, Eglise, société de consommation), d'un côté (Mai 68) ; préserver un espace d’initiative privée, de responsabilité individuelle et de liberté de choix face au « trop d'Etat », de l'autre (Vande Reyde et le libertarianisme).
S'il y a défiance envers l'autorité de part et d'autre, Mai 68 combattait le capitalisme et l'ordre établi tandis que la pensée libertarienne vise le trop d'Etat et la technocratie. Dit autrement, ce qui était un cri d'insoumission à l'égard du Pouvoir conservateur est devenu un cri contre le paternalisme d'Etat progressiste et hygiéniste. A force de légiférer pour protéger, on finit par étouffer ce que l'on prétend préserver : la liberté, la responsabilité et la maturité citoyenne – la démocratie en un mot. Il y aurait là, Vande Reyde a raison, un beau projet d'avenir azuréen. Puissent ceux qui font la pluie et le beau temps en Flandre, en Belgique et en Europe y réfléchir comme le moyen de défaire les populismes.
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