Les Etats-Unis jouent-ils avec le feu ?
Où il est question d'un sujet qui n'intéresse pas grand monde.
Le titre pourrait s'appliquer à une série d'articles touchant à différents domaines : géopolitique, bien sûr ; énergie ; tensions sociales ; etc. Ici, il sera question de finances, bien que le sujet ne semble pas intéresser beaucoup de monde, pour plusieurs raisons sans doute : complexité et technicité rebutent ainsi que les chiffres d'une manière générale ; la prédilection pour l'immédiat par rapport au long terme (l'horizon temporel paraît évanescent) ; la matière suscite un sentiment d'impuissance (« ça ne sert à rien de s'y intéresser, les décisions sont prises ailleurs ») et souffre d'un déficit d’apprentissage scolaire et ultérieur...
En outre, la crise financière mondiale déclenchée par les crédits immobiliers à risque (subprimes) aux États-Unis en 2007-2008, la pandémie de covid-19, la pratique de l'assouplissement monétaire quantitatif (pour injecter des liquidités dans l'économie, stimuler la croissance et lutter contre la déflation) et l'inflation qui s'ensuivit après 2021 sans que la vie quotidienne ne change radicalement ont suscité chez beaucoup de gens une sorte de fatigue, voire d'apathie, frisant la complaisance.
La banalisation du risque
La répétition des crises banalise le risque. L'habitude s'installe – jusqu'à ce qu'il soit trop tard, car les crises ont déjà débouché sur tout autre chose par le passé. Faut-il rappeler que celle des subprimes a provoqué l'effondrement de plusieurs institutions financières, une chute des bourses, et une récession économique mondiale entraînant une hausse du chômage et une baisse des échanges commerciaux ?
Le 2 septembre 2025, un homme habitué aux crises, Ray Dalio, fondateur du plus grand hedge fund du monde, Bridgewater Associates, s'était sans doute levé plus tôt que d'habitude (l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, dit le proverbe, qui a été popularisé en anglais par Benjamin Franklin sous la forme « early to bed and early to rise makes a man healthy, wealthy, and wise ») et observait les marchés dans son bureau à Westport, Connecticut. A l'écran de son ordinateur, le rouge dominait : les investisseurs fuyaient les bons du Trésor américain pour se réfugier dans l'or.
Cet homme, qui a traversé la crise de 2008 et prédit l'ascension de la Chine, n'a pas un tempérament à se laisser impressionner facilement. Pourtant, ce jour-là, il déclara d’un ton grave en substance au Financial Times : « Nous rejouons les années 1930. Les États-Unis dépensent 7 000 milliards de dollars alors qu’ils n’en gagnent que 5 000. La Fed est de moins en moins indépendante. Et quand la démocratie vacille, l’argent disparaît avec elle. » Ce n'était pas des paroles en l'air : la plus grande puissance mondiale dépense 40% de plus qu'elle n'encaisse de recettes fiscales et sa banque centrale apparaît de plus en plus fragilisée.
« C’est comme si un ménage gagnait 5 000 $ par mois et en dépensait 7 000 », illustra-t-il son propos. La différence ? Elle est comblée par de la dette – tant que l'on vous fait crédit. Beaucoup de dette dans le cas des Etats-Unis. Et chaque dollar emprunté finit par avoir un prix : des taux longs plus hauts, une monnaie plus fragile, une confiance qui s’érode. Mais, il y a plus inquiétant : la Fed est censée être indépendante et le gardien de la monnaie. Si l'Etat la met sous sa coupe et qu'en plus il s'immisce dans la vie des entreprises, c'est un signal rouge et la monnaie perd son ancrage.
Un risque institutionnel
Tout est une question de pouvoir. Avec les taux d'intérêt, c'est l'épargne des citoyens et leur liberté économique qui sont en jeu. Dalio aperçoit dans ces dérives un risque institutionnel. Pour lui, la prise de participation récente de l’État américain dans certaines entreprises stratégiques — comme Intel — n’est pas un fait anodin : c’est le signe que l’économie privée se transforme en instrument politique. L'économie et la démocratie sont sur une pente glissante, celle de l'autocratie.
Ces problèmes nous concernent-ils ? Non seulement ils concernent l'Europe mais ils concernent le monde : le dollar reste la monnaie mondiale (plus de la moitié du commerce mondial et des réserves de change mondiales serait libellée en dollars). Les marchés sont interconnectés, les taux d'intérêt américains influencent le coût du crédit de par le monde. Le commerce mondial serait touché plus encore qu'il ne l'est déjà. Enfin, par-delà le risque systémique, il y a le risque géopolitique : un ralentissement des échanges et un affaiblissement des Etats-Unis entraîneront immanquablement un changement du rapport de force avec la Chine et la Russie et de l'équilibre mondial.
Dalio prédit une crise de la dette d’ici trois ans (« à une ou deux années près »...) si la trajectoire n'est pas corrigée : fuite des capitaux, hausse du coût de la vie, appauvrissement des épargnants. Et pourtant, dans la rue, tout semble calme. Il n'y a pas de files devant les banques. Le système craque en silence. C'est le propre des crises. Pas grand monde ne se préoccupe de leurs prémices et tout le monde paraît surpris lorsqu'elles surviennent.
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MERCI pour ce texte réaliste!