Les électeurs sont de plus en plus en colère
A long terme, c'est la démocratie qui est menacée
C'est ce qu’observe, dans une interview accordée au média flamand Doorbraak, le journaliste, essayiste et homme politique néerlandais Derk Jan Eppink (1958), qui fut membre du Parlement néerlandais (notamment pour le BoerBurgerBeweging, BBB) et du Parlement européen, une première fois pour la Liste (belge) Dedecker, la seconde pour le Forum (néerlandais) pour la démocratie (groupe des Conservateurs et réformistes européens). Les politiques qui ignorent la colère des électeurs le font au détriment non seulement leur propre position, mais aussi de la démocratie.
Présidente de la Commission européenne (qui entend persister dans ses délires au mépris des préoccupations premières des citoyens), président de la République française (qui par sa décision de dissoudre l'Assemblée à la suite de l’avancée du Rassemblement national a provoqué la décomposition de sa majorité et engagé son pays dans une impasse), chancelier de la République fédérale allemande (qui en faisant éclater sa coalition a pris le risque de provoquer une crise de régime), formateur du gouvernement fédéral belge (en gestation depuis le 9 juin dernier – bientôt six mois!), PS bruxellois (qui s'est mis en retrait des négociations en vue de former une coalition pour enfin gérer la région de Bruxelles), tenez-le vous pour dit : vous faites le jeu des adversaires de la démocratie à vos risques et périls.
Actif dans le journalisme et la politique depuis quarante ans, Derk Jan Eppink a publié un nouvel essai, Rechtsomkeert, dans lequel il évoque la révolte des citoyens dont il estime qu'elle est d’abord liée à la problématique migratoire. « Plus le fossé culturel entre les nouveaux arrivants et les autochtones est grand, plus l'intégration est difficile. » Il craint que l'intégration n'emprunte finalement le sens inverse, à savoir que les autochtones commencent à se sentir étrangers dans leur propre pays. Il voit dans l'attitude des partis traditionnels qui ont choisi d'ignorer la problématique une raison du fossé qui se creuse entre eux et les citoyens, a fortiori quand ceux-ci ressentent que l'on cède un peu par-ci, un peu par-là, à des revendications qui leur sont étrangères et que les questions relatives à la foi et au droit des travailleurs sont traitées avec un certain relativisme.
Que ce soit en Europe, notamment lors des dernières élections européennes, ou aux Etats-Unis lors de l'élection présidentielle, le thème de la migration était au centre des discussions et, à cet égard, estime Eppink, le déplacement vers la droite dans les résultats électoraux est révélateur. Reste aux partis représentatifs de la tendance à accéder au pouvoir et à l'assumer. Ne manquent-ils de l'expérience nécessaire et du personnel politique idoine ?
A ce sujet, il a été demandé à Eppink d'estimer les chances de succès du nouveau gouvernement aux Pays-Bas où la plupart des ministres du Partij voor de Vrijheid de droite radicale de Geert Wilders sont des néophytes et le premier ministre lui-même est issu de la fonction publique. Il s'agit d'une sorte d'expérience, concède Eppink, mais les récents événements d'Amsterdam - l'après-match Ajax-Maccabi - ont démontré l'urgence d'agir pour répondre aux préoccupations d'un grand nombre d'électeurs. Si le gouvernement néerlandais actuel tombait et de nouvelles élections avaient lieu, ajoute-t-il, il y a de fortes chances que l'électorat penche davantage encore vers la droite.
En ce qui concerne des partis comme le Vlaams Belang en région flamande ou le Rassemblement national en France qui frappent à la porte du pouvoir depuis 30 ans tout en restant isolés, Eppink considère que l'attitude des autres partis qui n'hésitent pourtant pas à fricoter avec l'extrême gauche quand cela leur sied traduit bien le fait que ces autres partis sont dépassés par les problèmes que les partis de droite ne cessent de pointer depuis des années. Cet état de fait, insite-t-il, exaspère d'autant plus nombre d'électeurs.
Existe-t-il une « droite radicale européenne » ou s'agit-il d'une illusion créée par les autres partis et les médias ? Observateur de longue date des milieux de la politique et des médias pour avoir fait partie de l'un et de l'autre, Eppink est porté à choisir la seconde hypothèse. L'AfD allemande est, dit-il, par exemple, clairement beaucoup plus radicale que les autres partis de droite radicale et il y a d'autres sensibilités qui entrent en ligne de compte dans d'autres pays européens. Cependant, médias mainstream et partis politiques traditionnels ont tout intérêt à les mettre tous dans le même sac et à faire remonter une sauce fasciste afin que la discussion s'arrête là. Il y voit une paresse intellectuelle et de l'opportunisme politique.
Surgit alors un parti comme celui de Sahra Wagenknecht en Allemagne, de gauche économiquement mais effrontément de droite lorsqu'il est question d'immigration, un mélange idéologique qui est fort bien accueilli dans l'est du pays et qui prend les partis traditionnels et les médias mainstream à contre-pied. Tant que les partis traditionnels ne seront pas plus attentifs aux préoccupations de l'électeur moyen, que ce soit en matière de migration ou d'énergie, ces nouveaux partis continueront à se développer, prédit Eppink. Les partis traditionnels ne pourront pas se contenter de changer de nom ou de logo pour renverser la vapeur. C'est ce qu'ils représentent en termes de contenu qui doit à nouveau être en phase avec ce qu'attendent les citoyens aujourd'hui. A défaut, c'est à long terme la démocratie qui est menacée, car sa force réside précisément à exprimer le mécontentement social.