L'expression en titre est celle dont Xi Jinping, le président de la république populaire de Chine depuis le 14 mars 2013, a usé au sommet des BRICS+ en octobre dernier, prédisant que ce serait une ère de turbulence et de transformation. Le 7 novembre, dans un discours à Sochi, deux jours après l'élection de Trump à la présidence des Etats-Unis, Poutine déclara de même : « Devant nos yeux, un tout nouvel ordre mondial émerge. » Trump serait toutefois la plus grande menace, dans la mesure où l’America First contesterait les principaux éléments de l'ordre international libéral : commerce, alliances, migration, multilatéralisme, solidarité entre les démocraties, droits de l'homme.
Les États-Unis, la Chine et la Russie, a écrit Gideon Rachman, le commentateur Affaires étrangères en chef du Financial Times, dans l'édition européenne des 28 et 29 décembre (Big Read, The birth of a new world order), sont devenus, à des degrés divers, des puissances « révisionnistes ». Les trois puissances chercheraient à modifier radicalement l'ordre mondial. Mais, ce sont donc, d’après lui, les intentions de Trump qui seraient les plus déstabilisantes. Prétendre autre chose eût rompu le « consensus scientifique » à cet égard.
L'investiture de Donald Trump est prévue pour le 20 janvier, le même jour que l'ouverture du Forum économique de Davos, pow-wow symbole de la mondialisation qui rassemble des leaders des milieux économiques et politiques du monde entier. Trump apparaît aux antipodes de ce globalisme. Pendant plusieurs décennies, pourtant, Etats-Unis, Chine et Russie ont partagé la « worldview » du Forum de Davos, fait observer Rachman. Trump, Xi Jinping et Poutine y ont même, par le passé, tous pris la parole.
Que la Russie, ancienne superpuissance, veuille retrouver son statut, et la Chine, superpuissance en instance, veuille qu'on le lui reconnaisse, peut se comprendre. Les États-Unis restent cependant le pays le plus puissant du monde et la première économie mondiale et le dollar, la monnaie de réserve et d'échange mondiale. En outre, le réseau d'alliances américain étend sa protection à l'Europe, à l'Asie et aux Amériques. Si les États-Unis entendent réviser leurs engagements internationaux de manière fondamentale, cela aura nécessairement une influence sur le monde entier. Compte-tenu des éléments à disposition, Rachman (dont Palingenesie.com - abonnez-vous ici - a publié une recension en trois parties de Easternisation, son essai sur l'orientalisation du monde) imagine la possibilité de cinq scénarios. En substance, nous souvenant de ce que Donald Trump est l'auteur de The Art of the Deal, publié en 1987, dans lequel il évoque son concept d'hyperbole véridique, voici ce que cela donne dans les grandes lignes :
1) MEGA DEAL : Yalta Redux entre grandes puissances. Etats-Unis, Chine et Russie se répartissent des sphères d'influence, l'Amérique se contentant d'affirmer sa domination dans la sienne, avec des visées plus ou moins affirmées sur le Canada, le canal de Panama et le Groenland. Le cas de l'Ukraine est réglé fissa et Poutine est invité à fêter le prochain Thanksgiving à Mar-a-Lago.
2) BAD DEAL : Une guerre mondiale fortuite. L'instabilité politique régnant en Europe et Trump ayant plusieurs fois remis en question la volonté de l'Amérique de défendre ses alliés, Chine, Russie et Corée du Nord profitent de la confusion pour lancer une « opération militaire spéciale » en Europe et en Asie. Mais, elles ont mal calculé leur coup. La riposte s'organise prestement et les Américains finissent par être entraînés dans le conflit, comme, rappelle Rachman, cela s'est produit à deux reprises au XXe siècle.
3) NO DEAL : L'anarchie dans un monde sans leadership. États-Unis, Chine, Russie et UE se regardent en chiens de faïence. Les guerres commerciales font rage, la croissance économique se plante partout. Les conflits civils régionaux prolifèrent, des pays sombrent dans la violence et l'ONU impuissante tombe dans l'insignifiance. Les flux de réfugiés s'intensifient vers l'Ouest et les partis populistes et illibéraux prospèrent dans l'insécurité économique et sociale.
4) LOSE-LOSE DEAL : La mondialisation sans les Etats-Unis. Ceux-ci quittent l'Organisation mondiale du commerce et se retranchent derrière leurs barrières commerciales. Le reste du monde réagit à l'autarcie américaine en accélérant son interdépendance économique. L'UE ratifie de nouveaux accords commerciaux tous azimuts et ouvre grand son marché au « made in China », y compris les véhicules électriques et les technologies « vertes », moyennant l'installation de quelques usines chinoises sur son territoire et un accord visant à contenir l'agression russe contre l'Europe. Les BRICS+ s'élargissent au Sud global et délaissent le dollar US comme monnaie d'échange et de réserve.
5) MAGA DEAL : America First en plein dans le mille. Trump a raison, la puissance américaine est irrésistible. Les investissements affluent aux États-Unis dont le poids s'accroît dans les domaines de la technologie et de la finance. Européens et Japonais augmentent fortement leurs budgets militaires et désamorcent les velléités guerrières de la Russie et de la Chine. Les droits de douane américains plongent le système chinois dans une crise profonde. La cote de popularité de Trump monte en flèche dans son pays comme à l'extérieur. La bourse s'envole vers de nouveaux sommets inexplorés.
Quant à la probabilité que l'un de ces scénarios se réalise, en totalité, en partie ou en combinaison, Rachman cite le philosophe politique marxiste Antonio Gramsci dans ses Cahiers de prison : « La crise consiste précisément dans le fait que l'ancien [ordre] se meurt et que le nouveau ne peut pas naître ; dans cet interrègne, une grande variété de symptômes morbides apparaît. »
Meilleurs voeux pour 2025.