Sa bio sur Doorbraak révèle qu'Alain Grootaers a été footballeur professionnel, journaliste, rédacteur en chef, éditeur, homme de radio et de télévision, auteur, oléiculteur, organisateur de voyages et réalisateur de documentaires. En Flandre, ironise son biographe de circonstance, on dit « twaalf stielen, dertien ongelukken ». L'anglais traduit cela par « jack of all trades, master of none », le latin parlé, par « Iohannes fac totum », le français, par « touche-à-tout », ce qui est d'ailleurs aussi le signification ironique de « factotum ». Grootaers tiendrait à « uomo universalis », ce qui est curieux de sa part ou de celle du biographe, puisqu'il s'agit là d'une combinaison du latin « homo universalis » et de l'italien « uomo universale ».
Quoiqu'il en soit, il vivait dans une ferme en Andalousie une vie heureuse et paisible jusqu'à ce que ce matin il soit réveillé par ce qu'il estime être le bruit le plus irritant qui soit, celui d'un souffleur de feuilles, une invention qu'il juge inutile et diabolique. Le but de l'engin (ici municipal) est honorable, reconnaît-il, puisqu'il permet de garder les rues propres. La tâche était jadis dévolue à un balayeur muni d'un balai. Le balayeur est devenu un brasseur d'air, opérant une machine à moteur.
La municipalité se rend compte de la nuisance sonore provoquée par son engin pour l'oreille humaine puisqu'elle fournit à son préposé des protections auditives. Peut-être le vieux balai nuisait-il aussi à la santé du balayeur à la longue, et souffrait-il de la « tendinite du balayeur » par analogie avec le « tennis elbow ». La différence, se risque Grootaers, est que le bruit du balai ne dérangeait personne, contrairement à celui du souffleur de feuilles.
Il ajoute que l'allergie à l'égard de la pollution sonore est sans doute une question de culture. Les Andalous sont un peuple naturellement bruyant, dit-il. Les cafés et les restaurants sont de hauts lieux de pollution sonore. Une acoustique déficiente et la télévision qui braille en permanence font qu'il n'est pas possible pour les clients d'y entretenir une conversation sans crier.
Un ami lui a fait part de ce qu'en Finlande, ce n'est pas comme ça. On n'y aime pas les bavardages futiles, le « small talk » en anglais. La notion de « silence gênant » n'a pas cours. A un moment donné, tous conviennent qu'ils n'ont plus rien à dire et ils évitent de parler du temps qu'il fait, car ça les rend mélancoliques et pourquoi se plaindre de quelque chose sur quoi on n'a absolument aucune prise ? Grootaers propose d'en tirer une leçon de vie : considérer le souffleur de feuilles et le vacarme dans les cafés andalous comme un phénomène sur lequel on n'aura de toute façon jamais prise et pour lequel, dans la tradition hellénistique des stoïciens, il est donc inutile de s’énerver.
Il en va de même, dit-il, en ce qui concerne notre attitude vis-à-vis de la politique, autre phénomène bizarre, plein de souffleurs, qui irrite et sur lequel nous n'avons aucune prise. Continuons donc à croire à cet autre château d'air hellénistique qu'est la démocratie, dont la finalité est d'ailleurs aussi honorable que celle du souffleur de feuilles.