Stuart Kirk n'aime pas la langue de bois. Responsable mondial de l'investissement responsable chez HSBC, il avait été suspendu de ses fonctions en 2022 après un exposé iconoclaste intitulé « Why investors need not worry about climate risk » (« Pourquoi les investisseurs ne devraient pas s'inquiéter du risque climatique ») lors de la conférence « FT Moral Money » organisée par le Financial Times. En pleine mode ESG, cela revenait à blasphémer à l’église.
« Il y a toujours un cinglé qui me parle de la fin du monde », avait-il notamment déclaré. A la suite de quoi, estimant que sa position était devenue « intenable », il quitta son job non sans poster ce commentaire sur LinkedIn : « Une culture de l'annulation détruit la richesse et le progrès ». Il se promit de continuer à dénoncer l'hypocrisie et la pensée de groupe dans le domaine de la finance durable - et apparemment pas que dans celui-là.
En effet, il a remis ça dans le FT du week-end en fustigeant l'attitude des grands patrons d'entreprises face au Président Trump et il a publié les principaux passages de son article sur LinkedIn.
« Monsieur le Président, l'histoire montre clairement que les droits de douane augmentent les prix, le chômage et les inégalités, tout en réduisant la productivité et la croissance économique. C'est aussi ce qu'a dit mercredi le président de la Fed [la Banque centrale américaine].
En tant que PDG d'entreprises cotées en Bourse, nous désapprouvons vos politiques commerciales de la manière la plus catégorique. Nous promettons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les contester. Ne doutez pas de notre unité et de notre détermination sur cette question.
Soit dit en passant, les 250 signataires de cette lettre dirigent des entreprises représentant les deux tiers de la capitalisation boursière, 25 000 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel et 35 millions d'employés. L'an dernier, notre contribution fiscale globale a dépassé les mille milliards de dollars. »
Avez-vous vu un tel message des plus grands chefs d'entreprise du monde couvrant une page entière du Financial Times d'hier ? Non, vous ne l'avez pas vu. Il n'y en a pas eu, s'offusque-t-il. Ni dans ce journal, ni ailleurs.
Le silence des PDG face au chaos des droits de douane de Trump est l'un des plus grands échecs de leadership de l'histoire des entreprises, poursuit-il. Où sont-ils les patrons quand nous avons besoin d’eux ? Certains d’entre eux auraient fait part de leurs inquiétudes à huis clos. C'est très courageux de leur part, ironise Kirk.
Les actionnaires, fait-il remarquer, ont déjà perdu des milliers de milliards. Alors, stratégiquement, vous ne vous exprimez pas, de peur que la Maison-Blanche ne prenne des mesures de rétorsion ? « C'est comme si vous vous inquiétiez d'un coup de poing dans l'estomac après avoir été égorgés. »
L'ironie, c'est que la plupart de ces PDG ont suivi une forme ou l'autre de formation au leadership. Près de 40 % des patrons des entreprises du S&P 500 ont un MBA et leurs bureaux regorgent de coachs les exhortant à « joindre le geste à la parole » (« to walk the talk »). Comment se fait-il qu'ils n'ont pas pris les devants, alors qu'il est évident que tous les intéressés (actionnaires, employés, clients, etc.) souffriront si les tarifs douaniers en cours de discussion sont mis en application ?
En privé, rapporte Kirk, ces grands patrons disent que la loi est la loi et qu'il n'y a pas grand-chose à faire. Mais rien ne les empêche de faire pression sur le Congrès pour qu'il révoque l'autorité du pouvoir exécutif en matière de droits de douane, ou en resserre les critères d'application, ou impose de les justifier. Une douzaine de PDG qui exigeraient de tels changements échoueraient, mais serait-il possible aux pouvoirs publics d'ignorer des centaines, voire des milliers de patrons agissant de concert ?
Le problème, explique Kirk, réside dans ce que des décennies de paix et de stabilité économique ont amené des technocrates, des gestionnaires et des gourous de la finance à la tête des entreprises. Leur réponse à la crise des droits de douane indique qu'ils doivent être remplacés par de vrais patrons dotés d'une vision et d'un esprit d'acier. La clique actuelle devrait être licenciée, conclut-il - « fired » comme dirait quelqu'un à la Maison-Blanche.
(*) Achetez et offrez Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d'idées – L'Europe sous l'emprise de l'idéologie (sur Amazon France avec livraison gratuite en Belgique et, sous condition, en France).