Les experts linguistiques des presses universitaires d'Oxford ont soumis une liste restreinte de six mots qui ont façonné les humeurs et les conversations de l'année à un vote populaire auquel plus de 37 000 personnes ont pris part. Le mot Oxford de l'année 2024 est « brain rot », que l'on pourrait traduire par « pourriture cérébrale » ou « pourrissement du cerveau ».
La définition de « brain rot » donnée par les experts est « détérioration supposée de l'état mental ou intellectuel d'une personne, notamment considérée comme le résultat d'une surconsommation (en particulier, aujourd'hui, en ligne) de contenus considérés comme insignifiants ou non stimulants. Également : quelque chose caractérisé comme susceptible de conduire à une telle détérioration ».
L'expression « brain rot » a gagné en importance en 2024, expliquent les experts, pour désigner les préoccupations concernant l'impact de la consommation excessive de contenus en ligne médiocres, surtout sur les médias sociaux.
La fréquence d'utilisation de brain rot a augmenté de 230 % entre 2023 et 2024. L'expression ne date pas d'hier. C'est le naturaliste et philosophe transcendantaliste américain Henry David Thoreau (1817-1862) qui le premier l'aurait utilisé, en 1854, dans Walden, le livre dans lequel il relate son expérience d'un mode de vie simple dans la nature et auquel il doit sa notoriété.
Dans ses conclusions, Thoreau critique la tendance de la société à dévaloriser les idées complexes, ou celles qui peuvent être interprétées de façons multiples, au profit des idées simples, et considère que cela témoigne d'un déclin général de l'activité mentale et intellectuelle. « Alors que l'on s'efforce de prévenir la pourriture des patates, personne, s'interroge-t-il, ne s'efforcera-t-il de guérir ceux qui ont la tête comme une patate, c.-à-d. ceux qui souffrent d'un pourrissement du cerveau, une maladie qui sévit de manière beaucoup plus étendue et fatale ? » Ce n'est pas textuellement ainsi qu'il le dit, mais c'est tout comme.
Du XIXe siècle à l'anthropocène numérique et discriminatoire, la signification du terme a certes évolué, en particulier au cours de l’année. Ayant gagné du terrain sur les plateformes de médias sociaux - TikTok, notamment, parmi les aficionados des langages de pourriture cérébrale « skibidi » (absurde) et « Ohio » (embarrassant, étrange) dans les générations Z et Alpha -, l'expression « brain rot » est devenu d'un usage plus large, font état les linguistes des presses universitaires d'Oxford, et il apparaît désormais dans le journalisme traditionnel, en référence précisément aux préoccupations sociétales concernant l'impact négatif de la surconsommation de contenus en ligne avec un débordement de la culture virale virtuelle dans le monde réel. En 2024, l'expression « brain rot » décrit la cause et l'effet du phénomène, la pourriture cérébrale et le pourrissement du cerveau.
Etonnez-vous que l'impact négatif potentiel de la consommation excessive de contenus en ligne sur la santé mentale des enfants et adolescents pousse des établissements d'enseignement à bannir les supports numériques et à en revenir aux livres imprimés sur papier et des centres de santé mentale à donner des conseils quant à se prémunir contre le « pourrissement du cerveau ». Peut-être faudrait-il songer à étendre cette prophylaxie à tous ces vaniteux qui dans le monde politique et les médias, à force de raconter des fariboles et de répandre de drôles d'idées, exposent leurs cerveaux enfumés et ceux de leurs concitoyens à une autre forme de brain rot. (*)
(*) A lire et à acheter en ligne : Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d'idées, L'Europe sous l'emprise de l'idéologie.