L'avancée des communistes - qui chez nous se revendiquent de l'idéologie maoïste - aux récentes élections et les velléités des socialistes et des écologistes de pactiser avec eux imposent un devoir de mémoire.
Le régime de Mao avec le « Grand Bond en avant » (1958-60) et la « Révolution culturelle » (1966-76) fut le plus meurtrier de l'histoire : 45 à 80 millions de morts, selon les sources. (A lire à ce sujet : Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, ouvrage rédigé par un collectif d'universitaires sous la direction de l'historien Stéphane Courtois, paru en 1997 aux Éditions Robert Laffont, traduit en 26 langues et vendu à plus d'un million d'exemplaires. Disponible en Pocket.)
Et pourtant, Mao eut ses partisans et non des moindres en Europe occidentale. A la fin des années 1960, l'intelligentsia parisienne lui vouait un culte qu'il ne méritait assurément pas. Jean-Paul Sartre, Simone De Beauvoir, Roland Barthes, Yulia Kristeva, Philippe Sollers, Bernard-Henri Lévy, Michel Foucault, François Châtelet, André Glucksmann et nombre d'autres ne juraient que par le Grand Timonier, alias l'Empereur rouge, qui n'était grand que par son degré de forfaiture et rouge que couvert par le sang qu'il fit couler.
Hendrik Vuye, professeur de droit constitutionnel de l'Université de Namur et ancien parlementaire N-VA, s'est interrogé sur le média flamand Doorbraak sur ce qui fait que des intellectuels soient attirés par des régimes despotiques et totalitaires, a fortiori quand, comme en ce qui concerne Mao, ils n'en pratiquaient pas la langue, ni ne connaissaient le pays, sauf pour certains - et ça répond en partie à la question – à y avoir effectué de courtes visites dûment encadrées par des cadres du PCC, sorte de pèlerinage dans un pays imaginaire.
Un écrivain belge brisa le consensus intellectuel pro-Mao de l'époque, Simon Leys, pseudonyme de Pierre Ryckmans (1935-2014). Ce juriste, historien de l'art, sinologue, professeur d'université, fit la lumière sur la réalité de la Chine maoïste. En 1971, il publia Les habits neufs du Président Mao, puis Ombres chinoises (1974), Images brisées (1976), La Forêt en feu (1983), L'Humeur, l'Honneur, l'Horreur (1991). Dans ces « essais sur la culture et la politique chinoises », il dénonça le caractère meurtrier du régime et décrivit ce que refusait de voir l'élite intellectuelle ouest-européenne d'alors et française en particulier dans sa « cécité idéologique » (l'expression est de Vuye).
Leys était issu d'une famille catholique bruxelloise francophone. Inscrit à l'Université de Louvain en droit et en histoire de l'art, il eut l'occasion de visiter, en tant qu'étudiant, la République populaire de Chine pendant trois semaines. Sous le charme de la culture chinoise, de retour en Belgique, il arrête ses études de droit et apprend le chinois. Il obtint un doctorat avec une thèse sur le peintre-poète du XVIIe siècle, Shitao. Leys maîtrisait la langue chinoise ainsi que la calligraphie chinoise.
Ayant obtenu le statut d'objecteur de conscience en 1961, il était censé, en remplacement du service militaire, accomplir trois années de coopération au développement. Il alla d'abord à Singapour (où l'écrivaine Han Suyin lui permit d'étudier et d'enseigner en chinois à l'Université de Nanyang). Puis, soupçonné par le régime de Lee Kuan Yew d'être pro-communiste, il s'en alla et s'installa en 1963 à Hong Kong, qui était encore une colonie britannique.
Leys fut un témoin oculaire de la terreur qui sévissait en Chine. La colonie accueillait de nombreux réfugiés fuyant le paradis maoïste. Il vit les cadavres flotter dans le delta de la Rivière des Perles. Cela l'incita à s'intéresser au système politique de la Chine. Devenu attaché culturel à l'ambassade de Belgique à Pékin, il parcourut le pays, s'entretint avec de nombreux Chinois ordinaires et acquit une inestimable connaissance du terrain.
On n'attaque toutefois pas impunément le consensus d'une élite. Leys devint un paria, un traître à la cause du prolétariat. Il fut même accusé d'être un agent de la CIA. Dans Autodafés (2021), Michel Onfray décrit comment les écrits de Leys furent accueillis avec l'impartialité proverbiale dont la presse bien pensante fait montre quand ses positions idéologiques sont mises à mal. Il n'est jamais bon d'être du « mauvais côté » de l'histoire. Mais, toujours la vérité rattrape l'idéologie.
En l'occurrence, la vérité, Simon Leys l'a rétablie le 27 mai 1983, lors d'un mémorable épisode de l'émission Apostrophes de Bernard Pivot, face à une pasionaria figure maoïste emblématique, Maria Antonietta Macciocchi, qui venait présenter ses Deux mille ans de bonheur, des mots lui ayant été susurrés par le Grand Timonier lui-même. Son histoire de la Chine, est non seulement une chimère, mais un mensonge, dit Leys lequel explique à une Macciocchi décomposée que l'expression « deux mille ans de bonheur » n'existe tout simplement pas en chinois. Ce jour-là, la France découvrit Leys et ouvrit grand les yeux sur l'improbité intellectuelle de ses élites prétendument omniscientes.
Pourtant, Macciocchi se vit décerner en 1992 la Légion d'honneur par un Président Mitterrand qui, rappelle Hendrik Vuye dans son billet sur Doorbraak, avait qualifié Mao d'« humaniste » tandis que son ministre de la Culture Jack Lang était apparu au Parlement français en 1985 avec un gilet Mao, dessiné par le grand couturier Thierry Mugler. Socialiste de façade, on préfère s'habiller du bon côté de l'histoire.
Onfray parle d'une « pathologie du croyant de base » : « La rhétorique du maoïste est celle de la foi, de la croyance, de la religion. Et qui peut croire que la raison puisse ramener au bon sens quiconque est conduit par la foi ? »